Union ouvrière/Chapitre 2

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II.

Des Moyens de constituer la Classe Ouvrière.


Il est très important que les ouvriers comprennent bien la différence qui existe entre L’UNION OUVRIÈRE dont j’ai conçu l’idée et ce qui existe aujourd’hui sous ces titres d’Association de compagnonnage, L’union, Secours mutuels, etc.

Le but de toutes ces diverses associations particulières est tout simplement de s’entr’aider et de se secourir, mutuellement et individuellement, entre membres de la même société. — Aussi ces sociétés se sont établies dans la prévision des cas de maladies, d’accidents, et longs chômages.

Dans l’état actuel d’isolement, d’abandon et de misère où se trouve la classe ouvrière, ces sortes de sociétés sont très utiles, puisque leur but est d’aider, par de petits secours, les plus nécessiteux, et d’adoucir par là des souffrances personnelles qui, souvent, excèdent les forces et le courage de ceux sur lesquels elles tombent. J’approuve donc beaucoup ces sociétés, et j’engage les ouvriers à les multiplier, tout en les épurant des abus qu’elles peuvent renfermer. — Mais soulager la misère n’est pas la détruire ; adoucir le mal n’est pas l’extirper. Si enfin on veut se décider à attaquer le mal dans sa racine, évidemment il faut autre chose que des sociétés particulières, dont l’unique but est de soulager les souffrances individuelles.

Examinons ce qui se passe dans ces diverses sociétés particulières, et voyons si ce mode d’agir peut réellement améliorer le sort de la classe ouvrière,

Dans chaque société on emploie le montant des cotisations à donner tant par jour (50 c., 75 c., 1 fr. 50 c., 2 fr.) à ceux qui se trouvent malades, et, dans quelques cas, à ceux qui manquent d’ouvrage depuis un certain espace de temps. S’il arrive des cas fortuits, comme, par exemple, celui d’être mis en prison, on a droit aussi aux secours jusqu’au jugement. Dans les sociétés de compagnonnage on s’entr’aide encore plus efficacement : les compagnons procurent de l’ouvrage à ceux qui arrivent dans les villes de province, et répondent chez la mère, jusqu’à une certaine limite, des dépenses que ces arrivants peuvent faire pendant qu’ils attendent qu’on leur ait trouvé de l’ouvrage. — Voilà pour la partie matérielle. Quant à la partie morale, elle consiste en ce que chaque membre de la même société se fait un devoir d’aller visiter les sociétaires malades, soit chez eux, soit à l’hospice, et aussi les prisonniers. Je le répète, dans l’état actuel des choses, ces sortes de sociétés, qui dénotent au moins une grande sympathie, sont très utiles, parce qu’elles relient les ouvriers entre eux, les moralisent par le cœur, adoucissent leurs mœurs et allègent leurs cruelles souffrances. — Mais cela est-il suffisant ? non, certes non ! — puisqu’en définitive ces sortes de sociétés ne peuvent (et elles n’en ont pas la prétention) changer en rien ni même améliorer la position matérielle et morale de la classe ouvrière. — Le père, membre d’une de ces sociétés, vit misérable, souffre et n’a point l’espoir consolant de penser que ses fils seront mieux que lui ; ceux-ci, à leur tour, membres de la même société, vivront, comme leur père, misérables, sans nul espoir que leurs enfants seront mieux qu’eux. Remarquons le bien, toute société qui agit au nom de l’individualité, et se propose pour but le soulagement temporaire de l’individu, offre invariablement le même caractère. — Malgré tous ses efforts elle ne pourra rien créer de grand, de bon et capable d’amener un résultat notable[1]. — Ainsi, avec vos sociétés particulières, telles qu’elles sont établies depuis le roi Salomon jusqu’à ce jour, Ouvriers, dans cinquante siècles la position matérielle et morale de la classe ouvrière n’aura pas changé ; elle aura toujours pour lot LA MISÈRE, L’IGNORANCE et L’ESCLAVAGE, sauf la variété et le changement du nom à donner aux esclaves.

Où donc est le mal ?. — Le mal est dans cette organisation bâtarde, mesquine, égoïste, absurde, qui divise la classe ouvrière en une multitude de petites sociétés particulières, comme au moyen-âge les grands empires[2], que nous voyons aujourd’hui si forts, si riches, si puissants, étaient divisés en petites provinces, et les petites provinces en petits bourgs, jouissant de leurs droits et franchises. — Eh ! quels droits ! c’est-à-dire que petites provinces et petits bourgs, en guerre continuelle les uns contre les autres (et aujourd’hui la guerre, c’est la concurrence), étaient pauvres, faibles, et pour tout droit, avaient celui de gémir sous le poids de leur misère, de leur isolement et des calamités affreuses qui étaient le résultat inévitable de cet état de division. — Je ne crains donc pas de le répéter, le vice radical, celui qu’il faut attaquer sur tous les points, c’est ce système de morcellement qui décime les ouvriers, système qui ne peut engendrer que le mal.

Je pense que cette courte analyse de ce qui est suffira pour éclairer les ouvriers sur la cause véritable de leurs maux. — la division.

Ouvriers, il faut donc sortir au plus vite de cette voie de division et d’isolement où vous êtes, et marcher courageusement et fraternellement dans l’unique voie qui vous convienne, — l’union. — Le projet d’union que j’ai conçu, repose sur une base large, et son esprit est capable de satisfaire pleinement aux exigences morales et matérielles d’un grand peuple.

Quel est le but et quel sera le résultat de l’union universelle des ouvriers et ouvrières ?

Elle a pour but :

1o De CONSTITUER L’UNITÉ compacte, indissoluble de la CLASSE OUVRIÈRE ; — 2o De rendre, au moyen d’une cotisation volontaire donnée par chaque ouvrier, l’UNION OUVRIÈRE propriétaire d’un capital énorme ; — 3o D’acquérir, au moyen de ce capital, une puissance réelle, celle de l’argent : — 4o Au moyen de cette puissance, de prévenir la misère et d’extirper le mal dans sa racine, en donnant aux enfants de la classe ouvrière une éducation solide, rationnelle, capable d’en faire des hommes et des femmes instruits, raisonnables, intelligents et habiles dans leur profession ; — 5o De récompenser le travail tel qu’il doit l’être, grandement et dignement.

Ceci est trop beau ! va-t-on s’écrier. C’est trop beau : or, c’est impossible.

Lecteurs, avant de paralyser les élans de votre cœur et de votre imagination par ce mot glacial : c’est impossible, ayez toujours présent à l’esprit que la France renferme 7 à 8 millions d’ouvriers ; qu’à 2 fr. de cotisation, cela fait au bout de l’année 14 millions ; — à 4 fr., 28 millions ; — à 8 fr., 56 millions ; — Ce résultat n’est nullement chimérique. Parmi les ouvriers il y en a qui sont aisés, et surtout beaucoup qui ont l’âme généreuse : les uns donneront 2 fr., les autres 4, 8, 10 ou 20 fr. — et songez à votre nombre, 7 millions[3] !

Maintenant examinons quels peuvent être les résultats de cette UNION OUVRIÈRE.

Je viens de démontrer qu’il n’était nullement impossible que 7 millions d’ouvriers, unis par cette pensée, — de servir leur cause et leurs propres intérêts, puissent réaliser, par une cotisation volontaire, 15, 20, 30, 40 ou 50 millions par an. — Appliqués aux rouages d’une grande machine comme celle du gouvernement, 20, 30 ou 50 millions ne sont presque rien ; mais appliqués à un objet spécial et employés avec ordre, économie et intelligence, 20, 30 ou 50 millions représentent une richesse énorme. J’ai dit qu’au moyen de ce capital l’UNION OUVRIÈRE pourrait acquérir une puissance réelle, celle que donne l’argent. Voyons comment :

Par exemple le peuple irlandais, au moyen de son union, a pu établir et soutenir ce qu’on appelle l’ASSOCIATION[4] ; — de plus il a pu constituer, par une cotisation volontaire[5], une fortune colossale à un homme de cœur et de talent, O’Connell. — Suivez bien, et voyez quels peuvent être les résultats d’une union. — O’Connell s’est constitué le défenseur de l’Irlande. Largement rétribué par le peuple qui l’avait investi de son mandat, il a pu étendre sur une vaste échelle ses moyens d’attaque et de défense. — Jugeait-il à propos de publier 10, 20, 30 écrits, pour les répandre par milliers dans toute l’Irlande, — ayant de l’argent à sa disposition, il les publiait, et ses agents les distribuaient dans toutes les villes. — Jugeait-il important de faire arriver à la Chambre des Communes son fils, son gendre ou un ami dont il était sûr, il faisait répandre par ses agents, des guinées en masse parmi les électeurs, et le député de l’association arrivait à la Chambre pour défendre les intérêts de l’Irlande.

Si je cite toujours l’Irlande comme exemple, c’est parce que l’Irlande est encore le seul pays qui ait su comprendre que le peuple, s’il veut sortir de l’esclavage, doit commencer d’abord par former une vaste UNION, compacte, solide, indissoluble, car l’union fait la force, et, pour réclamer ses droits, pour fixer l’attention générale sur la justice d’une réclamation, il faut avant tout se mettre en position de pouvoir parler avec assez d’autorité pour se faire écouter.

La position de la classe ouvrière en France ne peut se comparer en rien à la cruelle position du peuple irlandais. — L’Irlande, pays conquis, mais dont l’esprit indépendant ne peut se résigner à porter le joug de l’oppression, réclame auprès de ses seigneurs et conquérants des droits religieux, politiques et civils. — Le seul énoncé de cette réclamation prouve que ce malheureux peuple est traité en esclave, puisqu’il ne jouit d’aucun droit. — Chez nous, au moins en principe, et c’est beaucoup, il n’y a plus d’esclaves devant la loi, du moins parmi la population mâle.

Quelle est aujourd’hui la position sociale de la classe ouvrière en France, et quels droits lui reste-t-il à réclamer ?

En principe, la loi organique qui régit la société française depuis la déclaration des droits de l’homme de 1791 est la plus haute expression de la justice et de l’équité, car cette loi est la reconnaissance solennelle qui légitime la sainteté du principe de l’égalité absolue, et non-seulement de cette égalité devant Dieu demandée par Jésus, mais cette égalité vivante pratiquée au nom de l’esprit et au nom de la chair devant l’humanité.

Ouvriers, voulez-vous savoir quels sont vos droits en principe ? — Ouvrez le livre de la loi, qui régit la société française et voyez :

Art. 1er. Les Français sont égaux devant la loi, quels que soient d’ailleurs leurs titres et leurs rangs.

Art. 2. Ils contribuent indistinctement, dans la proportion de leur fortune, aux charges de l’État.

Art 3. Ils sont tous également admissibles aux emplois civils et militaires.

Art. 4. Leur liberté individuelle est également garantie, personne ne pouvant être poursuivi et arrêté que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu’elle prescrit.

. . . . . . . . . . . . . . . . .

Art. 8. Toutes les propriétés sont inviolables, sans aucune exception de celles qu’on appelle nationales, la loi ne mettant aucune différence entre elles.

Certes, d’après l’esprit et la lettre des articles de la Charte, l’ouvrier français, sous le rapport de la dignité de l’homme et du citoyen, n’a rien à réclamer. — À la juger du point de vue de la Charte, sa position sociale est aussi belle qu’il puisse la désirer. — En vertu du principe reconnu, il jouit de l’égalité absolue, d’une entière liberté d’opinion et de conscience ; la sûreté de sa personne et celle de ses propriétés lui sont garanties : — que peut-il demander de plus ? — Mais, hâtons-nous de le dire, jouir de l’égalité et de la liberté en principe, c’est vivre en esprit, et si celui qui est venu apporter au monde la loi de l’esprit a sagement parlé en disant : « L’homme ne vit pas seulement de pain, » — je crois qu’il est aussi sage de dire : « L’homme ne vit pas seulement d’esprit. »

En lisant la Charte de 1830, on est frappé d’une grave omission qui s’y trouve. — Nos législateurs constitutionnels ont oublié qu’avant les droits de l’homme et du citoyen, il existe un droit impérieux, imprescriptible, qui prime et domine tous les autres, le droit de vivre. — Or, pour le pauvre ouvrier qui ne possède ni terres, ni maisons, ni capitaux, ni rien absolument que ses bras, les droits de l’homme et du citoyen sont de nulle valeur (et même en ce cas ils deviennent pour lui une amère dérision), si préalablement on ne lui reconnaît pas le droit de vivre, et, pour l’ouvrier, le droit de vivre, c’est le droit au travail, le seul qui puisse lui donner la possibilité de manger, et par conséquent de vivre.

Le premier des droits qu’apporte tout être en naissant est justement celui qu’on a oublié d’inscrire dans la Charte. — C’est donc ce premier des droits qu’il reste à proclamer[6].

Aujourd’hui la classe ouvrière ne doit s’occuper que d’une seule réclamation, parce que cette réclamation est fondée sur la plus stricte équité, et qu’on ne peut, sans forfaire aux droits de l’être, faire autrement que de lui accorder sa demande. — En effet, qu’a-t-elle à réclamer ?

LE DROIT AU TRAVAIL.

Sa propriété à elle, la seule qu’elle puisse jamais posséder, ce sont ses bras. — Oui, ses bras ! voilà son patrimoine, son unique richesse ! — Ses bras sont les seuls instruments de travail qu’elle ait en sa possession. — Ils constituent donc sa propriété, et cette propriété, on ne peut, je pense, contester sa légitimité et surtout son utilité, car si la terre produit, c’est grâce au travail des bras.

Nier la propriété des bras, c’est ne pas vouloir comprendre l’esprit de l’art. 8 de la Charte. Cependant cette propriété des bras est incontestable, et du jour où elle sera mise en discussion, il n’y aura à ce sujet qu’une voix. — Mais pour que la classe ouvrière puisse jouir sûrement et avec garantie de sa propriété (comme le veut l’art. 8), il faut qu’on lui reconnaisse en principe (et aussi en réalité) la libre jouissance et garantie de sa propriété. Or, l’exercice de cette libre jouissance de propriété consisterait pour elle à pouvoir utiliser ses bras quand et comment il lui plairait, — et pour cela, il faut qu’elle ait droit au travail. — Quant à la garantie de la propriété, elle consiste dans une sage et équitable ORGANISATION DU TRAVAIL.

La classe ouvrière a donc deux importantes réclamations à faire : 1o LE DROIT AU TRAVAIL ; — 2o L’ORGANISATION DU TRAVAIL.

Mais, va-t-on dire encore, ce que vous demandez pour la classe ouvrière est impossible. — Le droit au travail ! elle ne l’obtiendra pas. Cette réclamation, toute juste et légale qu’elle soit, sera considérée comme une attaque à la propriété proprement dite (terres, maisons, capitaux), — et l’organisation du travail sera considérée comme une attaque aux droits de la libre concurrence : or, comme ceux qui mènent la machine gouvernementale, sont des propriétaires de terres et de capitaux, il est évident qu’ils ne consentiront jamais à accorder de pareils droits à la classe ouvrière.

Entendons-nous : — Si dans l’état de division et d’isolement où sont les ouvriers, ils s’avisent de réclamer le droit au travail et l’organisation du travail, les propriétaires ne leur feront pas même l’honneur de considérer leur réclamation comme une attaque : ils ne les écouteront pas. — Un ouvrier de mérite (Adolphe Boyer), a fait un petit livre dans lequel il réclame l’un et l’autre : — personne n’a lu son livre. Le malheureux, de chagrin et de misère, et peut-être aussi dans la pensée que sa fin tragique ferait lire son écrit, s’est tué. — Un instant la presse s’est émue, pendant quatre jours, huit jours peut-être ; — puis le suicide et le petit livre d’Adolphe Boyer ont été complètement oubliés. — L’ouvrage de Boyer, eût-il été parfait, qui l’aurait lu ? qui l’aurait prôné ? qui l’aurait fait connaître ? quel résultat aurait-il amené ?… aucun. — Boyer était un pauvre ouvrier qui écrivait tout seul dans son coin ; il défendait la cause de ses frères malheureux, cela est vrai, mais il n’était pas lié de pensée avec eux, pas même de cœur, ni d’intérêt : aussi s’est-il tué parce qu’il lui manquait 200 fr. pour payer les frais de son petit livre. — Croyez-vous qu’il en serait arrivé ainsi si Boyer avait fait partie d’une vaste union ? Non, sans doute. D’abord, l’Union aurait payé les frais du livre ; ensuite le livre aurait été lu, on aurait discuté la valeur des moyens qu’il proposait. — Boyer, voyant que son travail était apprécié et que ses idées pouvaient être utiles, en aurait ressenti une grande satisfaction, et se voyant encouragé par ses frères, au lieu de se suicider par désespoir, Boyer aurait continué à travailler pour le service de la cause. — Voyez quelle différence de résultats ! — Dans l’état de division, Boyer, homme de cœur, d’intelligence et de talent, est forcé de se tuer parce qu’il a fait un livre. — Dans l’état d’union, ce même homme aurait vécu honoré, satisfait, et travaillant avec courage, justement parce qu’il aurait fait ce même livre.

Ouvriers, vous le voyez, — si vous voulez vous sauver, vous n’avez qu’un moyen, il faut vous UNIR.

Si je vous prêche l’UNION, c’est que je connais la force et la puissance que vous y trouverez. — Ouvrez les yeux, regardez autour de vous, et voyez de quels avantages jouissent tous ceux qui ont formé une UNION dans le but de servir la même cause et les mêmes intérêts.

Remarquez comment ont procédé tous les hommes intelligents, par exemple, les fondateurs de religions. La première chose dont ils se sont occupés a été de constituer l’UNION. — Moïse unit son peuple, et par des liens si forts, que le temps lui-même ne peut les briser. Jérusalem tombe ; le temple est rasé ; la nation juive est détruite ; le peuple de Moïse erre à l’aventure dispersé sur la terre. Qu’importe ! — Chaque juif, au fond du cœur, se sent uni par la pensée à ses frères. Aussi, voyez, la nationalité juive ne meurt pas, et après deux mille ans de persécutions et de mişères sans exemple, le peuple juif est encore debout ! — Que fait Jésus avant sa mort ? — Il rassemble ses douze apôtres et les UNIT en son nom et par la communion. — Le maître meurt. — Qu’importe ! — l’UNION EST CONSTITUÉE, dès lors l’esprit du maître vit en l’UNION, et pendant qu’au Calvaire Jésus, l’homme redoutable dont l’énergique protestation a effrayé la puissance des Césars, expire sur la croix… à Jérusalem et dans toutes les villes de la Judée, Jésus-Christ vit en ses apôtres et d’une vie éternelle, car après Jean naîtra Pierre, et après Pierre naîtra Paul, et ainsi de suite jusqu’à la fin des temps.

Ce sont douze hommes UNIS qui ont établi l’Église catholique[7], vaste union qui devint si puissante qu’on peut dire que, depuis deux mille ans, c’est elle qui gouverne presque toute la terre.

Voyez, sur des dimensions plus petites, le même principe de force, se reproduire : — Luther, Calvin et tous les dissidents catholiques. — Dès le moment qu’il se forme entre eux une UNION, aussitôt ils deviennent puissants.

Maintenant dans un autre ordre de faits ; — La révolution de 89 éclate. — Comme un torrent qui dévaste tout sur son passage, elle bouleverse, elle exile elle tue. — Mais l’UNION ROYALISTE est constituée. Bien qu’accablée par le nombre elle est si forte, qu’elle survit à la destruction de 93, et vingt ans après elle rentre en France, son roi à sa tête ! — Et en face de pareils résultats vous vous obstineriez à rester dans votre isolement ! Non, non, vous ne le pouvez plus sans faire acte de démence.

En 89 la classe bourgeoise a conquis son indépendance. Sa charte, à elle, date de la prise de la Bastille. — Ouvriers, pendant deux cents ans et plus, les bourgeois ont combattu avec courage et acharnement contre les priviléges de la noblesse et pour le triomphe de leurs droits[8]. — Mais le jour de la victoire venu, bien qu’ils reconnussent pour tous l’égalité des droits, de fait, ils accaparèrent pour eux seuls tous les bénéfices et avantages de cette conquête.

Depuis 89 la classe bourgeoise EST CONSTITUÉE. — Remarquez quelle force peut avoir un corps uni par les mêmes intérêts. — Dès l’instant où cette classe EST CONSTITUÉE, elle devient si puissante qu’elle peut s’emparer exclusivement de tous les pouvoirs du pays. — Enfin en 1830 sa puissance arrive à son apogée, et sans se mettre en peine des suites, elle prononce la déchéance du dernier roi de France ; — elle se choisit un roi à elle, procède à son élection sans prendre conseil du reste de la nation, et enfin, étant de fait souveraine, elle se place à la tête des affaires et gouverne le pays à sa guise.

Cette classe bourgeoise-propriétaire se représente elle-même à la Chambre et devant la nation, non pour y défendre ses intérêts, car personne ne les menace, mais pour imposer aux 25 millions de prolétaires, ses subordonnés, ses conditions. — En un mot, elle se fait juge et partie, absolument comme agissaient les seigneurs féodaux qu’elle a renversés. — Étant propriétaire du sol, elle fait des lois en raison des denrées qu’elle a à vendre, et règle ainsi, selon son bon plaisir, le prix du vin, de la viande et même du pain que mange le peuple.

Vous le voyez, à la classe noble a succédé la classe bourgeoise, déjà beaucoup plus nombreuse et plus utile ; reste maintenant à CONSTITUER LA CLASSE OUVRIÈRE. — Il faut donc qu’à leur tour les ouvriers, la partie vivace de la nation, forment une vaste UNION et SE CONSTITUENT EN UNITÉ ! Oh ! alors la classe ouvrière sera forte ; alors elle pourra réclamer auprès de MM. les bourgeois et SON DROIT AU TRAVAIL et l’ORGANISATION DU TRAVAIL ; et se faire écouter.

L’avantage dont jouissent tous les grands corps constitués, c’est de pouvoir compter pour quelque chose dans l’État, et à ce titre, d’avoir à se faire représenter. — Aujourd’hui l’UNION ROYALISTE a son représentant à la Chambre, son délégué devant la nation pour y défendre ses intérêts ; et ce défenseur est l’homme le plus éloquent de France : M. Berryer. — L’UNION COLONIALE a ses représentants à la Chambre, ses délégués devant la mère-patrie pour y défendre ses intérêts. — Eh bien, pourquoi donc la classe ouvrière, une fois qu’elle sera CONSTITUÉE EN CORPS, elle qui, certes, par son nombre et surtout son importance, vaut bien le corps royaliste et le corps des propriétaires coloniaux, n’aurait-elle pas aussi son représentant à la Chambre et son délégué devant la nation pour y défendre ses intérêts ?

Ouvriers, songez bien à ceci : la première chose dont vous ayez à vous occuper, c’est de vous faire représenter devant la nation.

J’ai dit plus haut que l’UNION-OUVRIÈRE jouirait d’une puissance réelle, celle de l’argent. En effet, il lui sera facile, sur 20 ou 30 millions, d’affecter, 500,000 fr. par an pour payer largement un défenseur digne de servir sa cause !

Nous ne pouvons en douter, il se trouvera bien, dans notre belle France, si généreuse, si chevaleresque, des hommes du dévouement et du talent d’O’Connell.

Si donc l’UNION OUVRIÈRE comprend bien sa position, entend bien ses véritables intérêts, le premier acte qui émanera d’elle doit être un APPEL solennel fait aux hommes qui se sentent assez d’amour, de force, de courage et de talent pour oser se charger de la défense de la plus sainte des causes, — celle des travailleurs.

Oh ! qui sait ce que la France renferme encore de cœurs généreux, d’hommes capables ! — Qui pourrait prévoir l’effet que produira un appel fait au nom de 7 millions d’ouvriers réclamant le DROIT AU TRAVAIL ?

Pauvres ouvriers ! isolés, vous ne comptez pour rien dans la nation ; mais aussitôt l’UNION OUVRIÈRE CONSTITUÉE, la classe ouvrière deviendra un corps puissant et respectable ; et les hommes du plus haut mérite brigueront l’honneur d’être choisis pour défenseurs de l’UNION OUVRIÈRE.

Dans le cas où l’UNION serait formée prochainement, jetons un coup d’œil rapide sur les hommes qui ont fait preuve de sympathie pour la classe ouvrière, et voyons quels seraient les plus capables de servir la sainte cause.

Plaçons-nous au point de vue humanitaire, et puisque nous cherchons seulement des hommes d’amour et d’intelligence, faisons abstraction des opinions religieuses et politiques de chacun. D’ailleurs, le taire de l’UNION n’aura à s’occuper ni de questions politiques ni de questions religieuses. Sa mission se bornera à attirer l’attention générale sur deux points : — Pour tout individu LE DROIT AU TRAVAIL ; et, en vue du bien-être de tous et de toutes, l’ORGANISATION DU TRAVAIL.

Depuis l’avènement de Napoléon, la France a eu des généraux illustres, des savants distingués, des artistes de mérite ; mais des hommes dévoués au peuple et ayant intelligence de ce qu’il faut faire pour le servir efficacement, très peu. — Aujourd’hui, quelques noms seulement se présentent.

M. Gustave de Beaumont : — en écrivant son bel ouvrage sur l’Irlande, a fait preuve d’un grand amour pour la classe pauvre. Il lui a fallu un grand courage pour sonder des plaies aussi vives et aussi repoussantes. — Doué d’une haute portée d’intelligence, M. de Beaumont a bientôt reconnu où était la cause du mal, et lorsqu’il a indiqué le remède à appliquer, il a dit : — Il faut qu’on accorde au pauvre le droit au travail ou la charité, et enfin qu’on songe à organiser le travail.

M. Louis Blanc : — ne réclame pas positivement le droit au travail pour tous, mais très certainement il approuve la justesse de cette réclamation. — De plus, il croit avoir trouvé moyen d’organiser le travail. — Nous ne discuterons pas ici la valeur de son plan, c’est une idée à lui, et qui resterait en dehors de la mission qu’il aurait à remplir. Ses titres, les voici : M. Louis Blanc s’est consacré dès sa jeunesse à la défense des intérêts du peuple ; dans tous ses travaux, on retrouve l’homme qui, par amour pour le bonheur de l’humanité, réclame avec chaleur, avec passion, des droits pour la classe la plus nombreuse et la plus utile ; — enfin, dans son ouvrage sur l’organisation du travail, il a signalé avec hardiesse les souffrances du peuple, et, pour tout remède, lui aussi a indiqué l’absolue nécessité de l’organisation du travail.

M. Enfantin : — ce nom inspire à bien des gens une vive antipathie : — Cependant il faut rendre justice à chacun, et savoir faire la part du bon et du mauvais qui se trouve dans un homme. — Chef d’école, qu’a fait M. Enfantin ? — Certes il a commis des fautes graves, on peut même dire que c’est lui, premier disciple de Saint-Simon, qui a détruit, anéanti pour jamais !… cette école saint-simonienne, à laquelle se ralliaient des hommes si remarquables, et qui avait sur toutes les questions sociales des vues si avancées. — Mais à côté de ces fautes réellement désastreuses et irréparables, on doit le reconnaître, il a donné un grand exemple. — M. Enfantin, le premier, a tenté la réalisation du précepte de Saint-Simon, et il a proclamé aussi, comme loi fondamentale de la doctrine saint-simonienne, la réhabilitation et la sainteté du travail manuel. Cette réhabilitation, à elle seule, renferme le changement radical de la société.

Dans tous les temps le travail manuel a été et est encore aujourd’hui méprisé. Celui qui travaille des mains se voit repoussé avec dédain partout ; ceci est un préjugé infiltré dans les mœurs de tous les peuples et qu’on retrouve jusque dans leur langue. — À cet égard, il n’y a qu’une opinion, qui est de considérer le travail manuel comme dégradant, honteux, et presque déshonorant pour celui qui l’exerce[9]. Cela est tellement vrai que le travailleur cache autant qu’il peut sa condition d’ouvrier, parce que lui-même s’en trouve humilié. — Eh bien ! il faut en convenir, en face d’un pareil état de choses, M. Enfantin a fait preuve d’une grande force et d’une haute supériorité en enseignant à ses disciples à honorer le travail manuel. — Après avoir posé la loi, il a voulu que cette loi devint vivante, et avec cette autorité supérieure que lui donnait son titre de chef religieux, il a obligé ses disciples à travailler de leurs mains, à se mêler parmi les ouvriers, et à travailler avec eux aux métiers les plus rudes et les plus répugnants. — Il me semble que des actes de cette importance révèlent dans M. Enfantin au moins une grande énergie de caractère, et sont de nature à attirer sur lui l’attention[10].

Un autre homme encore réclame à grands cris le droit au travail et l’organisation du travail : celui-là ne parle pas au nom de la charité chrétienne, comme M. de Beaumont, au nom de la liberté et de l’égalité républicaines, comme M. Louis Blanc — Non ; il s’appuie, dit-il, sur une base plus solide, la science. — Oui, c’est au nom de la science, et une science dite exacte (les mathématiques), que M. Victor Considérant, premier disciple de Fourier, chef de l’école sociétaire, rédacteur en chef du journal la Phalange, écrivain distingué, réclame, et réclame comme étant le seul moyen de salut qu’ait la société, Le DROIT AU TRAVAIL et l’ORGANISATION DU TRAVAIL.

M. Victor Considérant possède une science d’après laquelle il croit pouvoir organiser harmoniquement tout notre globe, — et pour arriver à un aussi beau résultat, remarquez-le bien, il déclare qu’il faut commencer par organiser le travail et accorder à chacun le droit au travail[11]. — Ainsi voilà le chef de l’école sociétaire, un homme de la plus haute intelligence, qui demande, comme l’unique moyen de régénérer la société, l’organisation du travail ! — Or donc, tout est là. — Les titres de M. Victor Considérant différent de ceux des hommes précédemment nommés. — L’homme de science procède avec sa science et non avec son cœur. — Néanmoins il pourrait offrir de grands avantages. M. Considérant est actif, il parle avec verve et une grande conviction scientifique ; il écrit de même. Ensuite il est à la tête d’une école qui renferme des hommes de mérite et sur lesquels il a de l’influence. De plus il a su se placer de manière à se faire écouter des hommes du gouvernement. Si M. Considérant était choisi par l’UNION, il acquerrait une très haute importance, ce qui le mettrait à même de servir puissamment les intérêts de la sainte cause[12].

Maintenant abordons une question fort délicate : le montant des honoraires que l’UNION OUVRIERE devra allouer à son défenseur.

Je crois, vu l’importance du but, qu’il est dans l’intérêt bien entendu de l’UNION OUVRIÈRE, qu’elle paie très généreusement son défenseur : par exemple, 200,000 fr., 300,000 fr., peut-être même 500,000 fr. par an.

Mais, dira-t-on, croyez-vous qu’il se trouve en France un homme qui ose accepter une somme aussi forte prélevée sur les petites cotisations volontaires données par de pauvres ouvriers ? Ne craindra-t-il pas d’être accusé, comme l’est O’Connell, de faire métier et marchandise de son dévouement pour le peuple ?

Que les ennemis politiques d’O’Connell l’accablent de reproches, d’injures, de calomnies, au sujet de la solde qu’il reçoit de l’Irlande, cette tactique se concoit. Animée par la haine de parti, l’aristocratie anglaise voudrait perdre O’Connell dans l’esprit du peuple irlandais, afin que l’Irlande n’eut plus de défenseur. — Cependant la conduite d’O’Connell n’a rien que de très loyal, de très légal et de tout-à-fait conforme aux règles établies par la saine morale.

Ouvriers, vous qui gagnez votre vie à la sueur de votre front, est-ce que vous ne comprenez pas que tout travail mérite salaire ? — Eh bien pourquoi O’Connell, qui travaille à sortir l’Irlande de l’esclavage, ne recevrait-il pas le salaire dû à ses travaux ? — Et quel travail que celui d’un homme qui donne toute sa vie à la défense de la cause populaire ! — Pour lui plus de repos : l’esprit sans cesse occupé à chercher des moyens de défense, le jour, la nuit, à tout instant il est en travail. Que parle-t-on de 2 millions que reçoit O’Connell !… Est-ce que la vie du cœur, de l’âme, de l’esprit peut se payer avec de l’or ?

Il est temps enfin qu’on en vienne à rétribuer les service selon leur utilité.

Ouvriers, savez-vous pourquoi on calomnie O’Connell, et pourquoi on calomniera de même votre défenseur ? — Je vais vous le dire : c’est que l’aristocratie qui gouverne ne veut pas que la classe prolétaire forme une UNION compacte, solide, indisso luble ; — elle ne veut pas que des hommes de mérite se fassent les défenseurs avoués et salariés de la classe ouvrière. — Et c’est pour cette raison que cette aristocratie qui fait preuve d’habileté quand il s’agit de veiller à la conservation de ses privilèges, accuse les hommes qui osent embrasser cette noble défense d’être cupides et indélicats.

Mais la crainte de passer pour un charlatan en dévouement n’arrêtera pas, certes, l’homme réellement supérieur qui sentira en lui foi et force. D’ailleurs, la position du mandataire de l’UNION-OUVRIÈRE sera toute différente de celle d’O’Connell. — Celui-ci a offert ses services à l’Irlande ; tandis que ce sera l’UNION-OUVRIÈRE qui fera un appel au pays pour avoir un défenseur : c’est elle qui le choisira, c’est elle qui fixera le montant de ses honoraires. Lui n’aura qu’à accepter et remplir dignement son mandat.

Quelle somme vous allouez au défenseur ! — me diront quelques uns. — Croyez-vous qu’un homme qui aimerait véritablement la cause des ouvriers ne la défendrait pas aussi bien en recevant 25 ou 30,000 fr. de traitement ?

Ouvriers, remarquez bien que la position de votre défenseur sera tout à fait exceptionnelle. La défense de votre cause, toute sainte qu’elle soit, n’est pas une chose facile. — Ne vous abusez pas : pour obtenir le droit au travail, puis l’organisation du travail, il faudra lutter avec acharnement et pendant longtemps.

Si vous voulez que votre défenseur se fasse écouter, placez-le, en débutant, dans une position qui le mette à même d’acquérir une grande puissance. Or, pour avoir de la puissance, de nos jours, il faut de la publicité ; et la publicité, sous toutes les formes, demande de l’argent, beaucoup d’argent.

Si vous donnez 25 000 fr. à votre défenseur, qu’arrivera-t-il ? il aura les mains liées, comme on dit, et ne pourra agir selon qu’il le jugera nécessaire. — Songez qu’il faut qu’il ait recours à tous les moyens de publicité, par ses écrits (dépenses d’imprimerie), par les écrits des autres (dépenses de collaborations), par la presse (dépenses d’annonces), par les voyages, dans toutes les villes de France (dépenses de voyage), par les arts (dépenses de dessins, gravures, lithographies, etc., etc.), par la fréquentation du monde (dépenses de tenue de maison), enfin propagation par toutes les voies possibles : or, dépenses de toutes sortes[13].

Songez bien que votre défenseur à part toutes ses autres qualités, doit être ce qu’on appelle un homme habile. Il devra saisir avec tact tous les moyens pour s’en faire des auxiliaires, et pour pouvoir agir de la sorte avec intelligence et sur une grande échelle, il lui faut beaucoup d’argent. — Afin de mettre sa probité à l’abri de tout soupçon, le défenseur, à la fin de chaque année, rendra compte au comité central de l’emploi des fonds qu’il aura reçus, et si l’on s’apercevait qu’il les dépensât pour ses intérêts particuliers, on lui retirerait son mandat.

Si j’insiste autant sur la question du défenseur, c’est que je desire que les ouvriers comprennent bien l’in portance que l’UNION-OUVRIÈRE doit mettre à commencer par se faire représenter devant le pays.

Quant aux autres résultats que devra avoir l’UNION-OUVRIÈRE, je ne les énumère pas ici, parce qu’ils trouveront naturellement leur place dans le chapitre IV.


  1. Depuis l’établissement du christianisme, il y a toujours eu dans les pays chrétiens des milliers de sociétés dites charitables, dont le but était de soulager les souffrances individuelles de la classe pauvre. — Eh bien ! malgré les bonnes intentions de ces sociétés, la classe pauvre est toujours restée aussi pauvre. — En Angleterre, où la classe pauvre littéralement meurt de faim, il existe pourtant un nombre infini de ces sociétés charitables. De plus, la charité forcée, la taxe des pauvres, s’élève de 2 à 300 millions par année, sans y comprendre l’Écosse ni l’Irlande (l’Angleterre a 12 millions d’habitants). — Tous les ans cette taxe des pauvres augmente ; eh bien ! la pauvreté de la classe ouvrière augmente sur une échelle beaucoup plus grande encore
  2. La France, l’Angleterre, la Russie, l’Autriche, les États-Unis, les seuls qui soient encore constitués en unité.
  3. L’UNION OUVRIÈRE, telle que je l’ai conçue, aurait pour but : 1o de constituer la classe ouvrière proprement dite, et pour but ultérieur, de rallier dans une même pensée les 25 millions de travailleurs non propriétaires de toutes conditions que l’on compte en France, afin de défendre leurs intérêts et de réclamer leurs droits. — La classe ouvrière n’est pas la seule qui ait à souffrir des priviléges de la propriété : les artistes, les professeurs, les employés, les petits commerçants et une foule d’autres gens, même les petits rentiers, qui ne possèdent aucune propriété comme terres, maisons, capitaux, subissent fatalement les lois faites par les propriétaires siégeant à la Chambre. — Aussi, nous ne pouvons pas en douter, dès le moment où la classe réellement supérieure, celle qui domine par ses capacités, ses talents (bien que les propriétaires lui refusent l’entrée de la Chambre), aura compris de quelle importance il serait pour elle d’être liée d’intérêt et de sympathie à la classe ouvrière, il est évident que les 25 millions de non-propriétaires réuniront leurs efforts pour anéantir les effets des priviléges. — Et, dans ce but, tous donneront des cotisations plus ou moins fortes, selon qu’ils comprendront les résultats que doit avoir l’UNION OUVRIÈRE. — Alors, au lieu du chiffre de 14, 28, 56 millions, cité ici comme provenant de 7 à 8 millions d’ouvriers, dans l’hypothèse de la coopération des 25 millions de non-propriétaires, le montant des cotisations pourrait s’élever à 100 millions par an et plus.
  4. Le Nom de l’association irlandaise a changé très souvent : — chaque fois qu’elle a été dissoute par le Gouvernement, elle s’est reformée aussitôt sous un nouveau nom. — Elle s’est appelée Irlandais-Unis. — Association catholique. — Association générale de l’Irlande. — Société des Précurseurs. — O’Connell assure qu’elle se nommera bientôt l’Association nationale. — Mais, sous ces diverses dénominations, c’est toujours le même esprit qui la dirige. — Voici ce que dit à ce sujet M. de Beaumont : « C’est un des caractères particuliers de l’association de ne pas seulement surveiller le Gouvernement, mais de gouverner elle-même, elle ne se borne pas à contrôler le pouvoir, elle l’exerce. Elle fonde des écoles, des établissements charitables, lève des taxes pour leur soutien, protège le commerce, aide l’industrie et fait mille autres actes ; car, comme la définition de ses pouvoirs ne se trouve nulle part, la limite n’en est point marquée. À vrai dire l’association est un gouvernement dans le Gouvernement : — autorité jeune et robuste, née au sein d’une vieille autorité moribonde et décrépite ; puissance nationale centralisée qui broie et réduit en poussière tous les petits pouvoirs épars çà et là d’une aristocratie anti-nationale (t. II, p. 21).
  5. On reçoit depuis 1 sou jusqu’à…
  6. La Convention nationale avait presque reconnu le droit au travail ou au moins aux secours publics. — La Charte n’en dit pas un mot.
    « 21. Les secours publics sont une dette sacrée. — La Société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler. »
    (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 27 juin 1793.)
  7. Le mot Église catholique signifie Association universelle.
  8. À la vérité, si les bourgeois étaient la tête, ils avaient pour bras le peuple, dont ils savaient se servir habilement. — Quant à vous, prolétaires, vous n’avez personne pour vous aider, — il faut donc que vous soyez à la fois la tête et le bras.
  9. Afin que les ouvriers ne croient pas que je fais ici de la poésie ou de l’imagination, je vais reproduire, en partie, un procès fort curieux qu’ils pourront lire tout au long dans la Gazette des Tribunaux du 7 juillet 1841. Ils verront comment, de nos jours, le travail manuel est apprécié, et cela en plein tribunal.
    TRIBUNAL CIVIL DE LA SEINE (4e chambre).
    (Présidence de M. Michelin.)
    Audiences des 27 juin et 6 juillet.
    DOCTRINES DE ROBERT OWEN. — NEW-HARMONY. — ÉDUCATION UTILITAIRE.

    Me Durant-Saint-Amand, avocat de M. Phiquepal d’Arusmont, expose ainsi les faits de cette cause singulière :

    » M. le baron de Beauséjour, député, ami du général Lafayette, dont il partageait les opinions avancées, avait un neveu dont il était tuteur et auquel il avait à cœur de donner une éducation forte. Il le confia aux soins de M. Phiquepal d’Arusmont, et s’engagea à payer pour lui une pension annuelle de 1, 200 fr. M. Phiquepal, qui depuis longtemps se consacrait à l’instruction, avait embrassé avec enthousiasme, et M. de Beauséjour le savait, les doctrines du célèbre réformateur écossais Robert Owen.

    » Robert Owen avait fondé à New-Lanark un établissement agricole consacré à la jeunesse, qui avait pris un grand développement et lui avait donné une juste célébrité. Ce philosophe songea bientôt à élargir encore son système ; il résolut de le déployer sur un terrain plus vaste, et jeta les yeux à cet effet sur une contrée de l’Amérique.

    » Admis en présence du congrès national, il expose son plan, ses moyens qui sont reçus, applaudis, encouragés, et il obtient une concession de terres à New Harmony, où il fonde une institution nouvelle, sous le titre de Société coopérative.

    » M. Phiquepal, plein des mêmes idées, avait formé pour la France un projet semblable ; mais les difficultés sans nombre qu’il rencontra dans sa marche, notamment de la part de l’Université, qui ne permet pas qu’on s’affranchisse de son inflexible monopole, arrêta ses pas. Il tourna alors ses yeux vers l’Amérique, et, après avoir obtenu l’approbation des parents de ses élèves, part avec eux pour le Nouveau-Continent.

    » Après une traversée heureuse, M. Phiquepal et ses élèves arrivent à New-Harmony, situé dans le district d’Indiana, sur les bords de la Wabash, un de ces puissants fleuves qui arrosent l’Amérique du Nord. Robert Owen avait acquis là trente mille ares de terre, dont une partie était en rapport, dans une bourgade pouvant loger deux mille âmes ; il y poursuivit avec ardeur une belle expérience à laquelle il avait consacré et sa vie et sa fortune de plusieurs millions. Au-dessus du principal bâtiment on lisait cette inscription ; peut-être un peu pompeuse : Hall of sciences, Palais des sciences'. Owen répandait ses doctrines par la voie d’un journal intitulé : Free Enquirer, la Libre Recherche, qu’il rédigeait avec le concours de ses élèves.
    » Tel était donc le lieu où M. Phiquepal avait transporté ses élèves ; tels étaient les maîtres sous la direction desquels le jeune Dufour était appelé à recevoir une éducation qui, pour ne point ressembler à celle qui lui a été donnée en Europe, n’en était pas moins propre à en faire un homme, comme le témoignait, dans sa correspondance, M. le baron de Beauséjour. »

    Ici l’avocat analyse la correspondance de M. de Beauséjour et de son pupille ; il en induit que celui-là était parfaitement instruit de ce qui se passait à New-Harmony et du genre d’études auquel son neveu y était soumis, sans en avoir jamais manifesté aucun mécontentement.
    « Cependant M. Phiquepal, jugeant sa présence nécessaire en France, quitta momentanément New-Harmony, laissant ses élèves confiés aux soins du fils d’Owen. Il emmena miss Francez Wright, avec laquelle son mariage était décidé, et ils débarquèrent sur le continent vers la fin de 1830. L’union projetée fut consacrée en présence du général Lafayette.
    » À cette époque, les idées de M. le baron de Beauséjour prirent une autre direction. Il voulut avoir son neveu près de lui, et le rappela vers le mois de juillet 1831. Il fit d’ailleurs l’accueil le plus favorable à M. et Mme Phiquepal ; il leur remit une obligation de 7,200 francs qui soldait la rétribution due à l’instituteur.
    » De retour en France, le jeune Dufour, placé dans l’institut commercial de M. Blanqui, y acheva son éducation, et il occupe aujoord’hui, chez l’imprimeur Everat une place qui procure un traitement annuel de 6,000 fr.
    » Cependant, à l’échéance de l’obligation qu’il avait contractée, M. le baron de Beauséjour a refusé de l’acquitter, et de nombreuses démarches, de puissants intermédiaires, n’ont pu vaincre son refus. M. Phiquepal s’est donc trouvé dans la pénible nécessité de l’actionner judiciairement, ainsi que son neveu. Celui-ci ne s’est pas contenté de repousser la demande principale, il a formé contre M. Phiquepal une demande reconventionnelle en 25,000 fr. de dommages-intérêts, fondée sur le vice et l’insuffisance de son éducation. Il sera curieux, sans doute, d’entendre comment il cherchera à justifier cette prétention. »

    L’avocat, abordant la discussion, soutient que M. de Beauséjour savait parfaitement que l’instruction donnée à son neveu était tout agricole ; qu’il connaissait le genre d’exercices auxquels il se livrait ; qu’on lui avait dit que son neveu s’entendait mieux à construire une cabane ou à diriger une barque qu’à disserter en grec ou en latin, et qu’étant informé de tous ces faits lorsqu’il a souscrit l’obligation de 7,200 francs, il ne peut aujourd’hui en refuser le paiement.
    Quant à la demande reconventionnelle d’Amédée Dufour, elle se réfute par la position même qu’il occupe en ce moment. S’il a été capable de la remplir, il le doit en grande partie à l’éducation qu’il a reçue dans la colonie de New-Harmony.
    Me Flandin, dans l’intérêt de M. le baron de Beauséjour, combat la demande principale. Dans une discussion rapide, il établit que M. Phiquepal n’a en aucune façon rempli le mandat qui lui avait été donné. Au lieu de nourrir l’esprit de son élève des lettres et des sciences, il en avait fait un sauvage, un véritable Huron. M. de Beauséjour ne croit pas devoir le remercier pour cela ; bien au contraire.
    « Quant à l’obligation de 7,200 francs, lorsqu’il l’a souscrite provisoirement, M. de Beauséjour n’avait pas encore revu son neveu ; il ignorait tout ce qui s’était passé à New-Harmony. En voyant avec plaisir Amédée engagé dans un voyage qui pouvait, bien dirigé, devenir très profitable, il était loin de croire qu’on transporterait, à 900 lieues de distance, au sein d’une colonie barbare. Son entretien a dû, vu les ressources et les habitudes du pays, coûter bien peu de chose. Il y aurait donc lieu, dans tous les cas, de réduire singulièrement les prétentions de M. Phiquepal. »

    Me Sudre prend à son tour la parole pour le jeune Dufour, et s’exprime ainsi :
    « Dès que ses élèves furent installés, M. Phiquepal reprit leur éducation, mais la changea totalement d’objet : il les soumit aux plus grossiers travaux. Leurs occupations consistaient dans le labourage, la forge, la maçonnerie, la confection de leurs vêtements et la préparation de leur nourriture ; tout le reste fut négligé, abandonné. Quant aux aliments, ils étaient légers : un peu de maïs cuit à l’eau, et réduit en galettes, composait leur ordinaire, auquel on ajoutait le dimanche quelque gibier lorsqu’ils avaient fait bonne chasse. »

    » Deux ans plus tard, une nouvelle occupation fut ajoutée à celle qui avait rempli le temps des élèves de M. Phiquepal, depuis leur séjour dans la colonie. Owen fils rédigeait le journal de la nouvelle doctrine ; cette feuille, intitulée New-Harmony Gazette, était confiée à un imprimeur qui, ayant quitté la colonie, fut remplacé par les élèves de M. Phiquepal. »

    Voici un paragraphe d’une lettre d’Amédée Dufour, qui dénote qu’avant d’avoir revu son oncle, il savait apprécier l’éducation qu’il recevait de M. Phiquepal :

    Nous demeurons maintenant à New-York sur le bord d’une jolie rivière, à cinq milles de la ville, dans la même maison que M. Owen et Mlle Wright ; vous devez les connaître, au moins de réputation ; ils rédigent un journal fort estimé que nous imprimons, mes camarades et moi. Je commence à connaître passablement toutes les parties de ce bel art. J’écris, dit-on, l’anglais sans faire beaucoup de fautes. J’espère me former également dans le français, quand nous aurons, l’été prochain, l’occasion d’imprimer dans cette langue. Au reste, nous avons appris bien des petites choses qui peuvent, je crois, contribuer à nous rendre indépendants, dans quelque position que nous puissions nous trouver. Je ne serais pas embarrassé pour faire mes souliers, mes habits, ma casquette, mon pain, ma cuisine, mon savon, mon beurre, ma chandelle, mes balais, en un mot, tout ce qui peut contribuer au ménage ; cultiver mon jardin, ma ferme, construire ma cabane, mon bateau, et me sauver à la nage s’il le fallait ; et ceci ne m’a pas mal servi dans une dernière occasion où notre bateau ayant été renversé par un coup de vent, nous avons pu, sans beaucoup de peine, sauver M. Phiquepal et nous-mêmes. »
    » Dès que M. de Beauséjour fut instruit de toutes ces circonstances, il essaya d’éclairer l’inexpérience de son neveu sur le genre d’éducation qu’on lui avait donnée et le rappela en France. »
    » Mais la présence du jeune Dufour dissipa bientôt les illusions que son oncle s’était faites. L’instruction proprement dite, l’étude des langues anciennes et modernes, celle des sciences avaient été presque oubliées ; il a fallu placer le jeune homme chez M. Blanqui, où il est resté trois ans pour apprendre les choses essentielles et vraiment utiles dans la carrière où son oncle voulait le placer. »
    » On conçoit dès lors pourquoi M. de Beauséjour refuse aujourd’hui le paiement des 7,200 fr. ; on comprend aussi qu’Amédée Dufour soit bien fondé à réclamer des dommages-intérêts qui seront toujours au dessous du préjudice que lui cause la direction vicieuse de son éducation.
    Me Sudre, avocat du jeune Dufour, soutient queM. Phiquepal a complètement manqué aux obligations qui lui étaient imposées ; que ses élèves, loin de ne lui avoir été à charge, lui ont rendu d’importants services, et procuré des profits qui ont été pendant cinq ans le résultat d’un travail gratuit, il cherche à justifier par les faits et la correspondance des dommages-intérêts réclamés, et termine en insistant sur le besoin de rappeler, par une condamnation sévère aux instituteurs, l’étendue de leurs devoirs et la sainteté de leurs engagements.
    M. le substitut Bourgoin analyse les faits de la cause et les moyens des parties. Il compare le mandat confié à M. Phiquepal avec l’éducation que ses élèves ont reçue, et en conclut que l’institution s’est éloignée complètement du but de sa mission.

    « M. le baron de Beauséjour, dit M. l’avocat du roi, avait remis son neveu à M. Phiquepal pour en faire un homme. Ce n’était pas lui demander trop ; eh bien ! il n’en a pas même fait un homme, mais un cordonnier, un laboureur, un maçon, comme s’il appartenait à l’une de ces classes, où la truelle, la varlope ou le rabot sont héréditaires, et il a négligé l’étude si essentielle des arts, des sciences, des lettres, des langues vivantes et des langues mortes, si l’on peut appeler de ce nom des langues qui ont immortalisé tant de personnages illustres. ! »
    Ainsi, voilà l’avocat du roi, c’est-à-dire l’homme qui représente la société, qui déclare qu’un cordonnier, un laboureur, un maçon, NE SONT PAS DES HOMMES…

  10. Lorsque j’ai écrit ce passage sur M. Enfantin, j’ignorais qu’il allait publier un livre traitant de nouveau la question de l’organisation du travail. — L’opinion émise ici au sujet de M. Enfantin se rapporte donc uniquement à ce qu’il a professé publiquement et fait faire à ses disciples en 1830, 1831 et 1832. Depuis lors, il n’avait plus ni parlé, ni écrit. — Aujourd’hui, M. Enfantin reparaît sur la scène, et s’y présente en économiste, en organisateur, en fondateur. Nécessairement, je devais prendre connaissance de son nouvel ouvrage, afin de m’assurer, si après douze années, l’ancien chef Saint-Simonien était resté le défenseur de la classe la plus nombreuse (les prolétaires) et de la classe la plus opprimée (les femmes). — J’achève la lecture du livre que M. Enfantin vient de publier (colonisation de l’Algérie) ; ma surprise, je l’avoue, a été grande, ma douleur profonde, en voyant comment, en 1843, douze ans après les réunions de la rue Mousigny, M. Enfantin comprend l’organisation du travail. — Pourra-t-on le croire ? Aujourd’hui, pour M. Enfantin, l’organisation du travail consiste tout simplement à enrégimenter les ouvriers d’une manière régulière. — Dans l’esprit de M. Enfantin, le mot organisation du travail a la même signification que : organisation de l’armée. — Une telle manière de voir est vraiment inqualifiable ! — Dieu vous garde, ouvriers, d’une semblable organisation !  ! Oh ! que la classe la plus nombreuse périsse de misère et de faim plutôt que de consentir à se laisser enrégimenter, c’est-à-dire, à échanger sa liberté, contre la sécurité de la ration !
    Les théories posées par M. Enfantin, comme devant servir de bases à la constitution du nouvel ordre social, sont fort alarmantes pour la conservation de nos libertés, si chèrement conquise ! mais ce qui doit nous rassurer, c’est que les doctrines de M. Enfantin sur l’enrégimentation, sont un anachronisme de deux mille ans ! — Depuis la venue de Jésus-Christ, il n’est plus possible à l’incarnation même du despotisme, d’établir une domination absolue, d’exiger l’obéissance passive ; enfin, d’attenter d’une manière permanente à la liberté des hommes. — Rois, empereurs, tous ceux qui l’ont tenté, ont échoué. — Jésus est le premier qui ait proclamé les droits de l’homme ! et en 91 l’Assemblée Nationale a ratifié cette sainte proclamation !
    En vérité, on ne conçoit pas comment aujourd’hui il se trouve encore des gens qui viennent de sangfroid, et très sérieusement, proposer d’enrégimenter hommes, femmes et enfants. — De pareilles propositions sont d’une exécution tellement impossible ! qu’elles sont nécessairement absurdes, et ne peuvent émaner que de cerveaux frappés de monomanie. Après la publication d’un semblable ouvrage, il est évident qu’on ne peut plus compter sur M. Enfantin, pour défendre les droits et libertés de la classe ouvrière,
  11. Voyez les Destinées sociales, — la Démocratie pacifique, les ouvrages de Fourier, et de l’école sociétaire.
  12. Indépendamment des hommes que je viens de citer, il s’en trouve quelques uns encore qui on fait preuve d’une grande sympathie pour la classe ouvrière, par exemple : MM. Pierre Leroux, Jean Reynaud, Olinde Rodrigues, Pecqueur, de Lamartine, Hippolyte Carnot, Schutzenberger, Cormenin, de Lamennais, Ledru-Rollin, etc.
  13. Dès l’instant que l’idée émise, ou la proposition faite est nouvelle, la foule essentiellement routinière se soulève contre. — En Angleterre, où O’Connell remplit depuis quinze ans la mission de défenseur du peuple, on commence à comprendre qu’il est juste, qu’il est même indispensable, que l’homme qui consacre tout son temps, toutes ses facultés, toute sa vie à la défense du peuple, reçoive de ce même peuple, de quoi vivre matériellement ainsi que sa famille ; je ne propose donc pour la France que ce qui existe chez nos voisins. J’ai dit qu’il faudrait donner 500 000 fr. au défenseur, pour subvenir aux dépenses indispensables à l’accomplissement de sa mission. — Sans doute, le comité central pourrait se réserver la faculté d’accorder les fonds que le défenseur jugerait nécessaire. — Mais comme dès lors il pourrait les lui refuser, il arriverait que le défenseur cesserait d’être responsable de mouvement donné à la cause, et serait en droit de rejeter sur le comité central le manque d’impulsion dont cette cause souffrirait ; et, on doit le comprendre, il est de la plus haute importance que toute la responsabilité repose sur la tête seule du défenseur. Ensuite au salaire donné au défenseur, se rattache la constitution de l’union ouvrière ; car, par le fait seul que la classe ouvrière a élu et payé un défenseur, elle fait connaître à tous qu’elle est constituée en corps, et que le corps est assez puissant, assez riche, pour investir un homme honorable de son mandat. Après ce que j’ai dit dans le texte, cette longue note était pour les trois quarts de nos lecteurs, complètement inutile ; mais quand il faut lutter contre les préventions, les défiances des uns ; et les scrupules des autres, on ne saurait donner trop d’explications.