La Ronde du Trouvère/Mon Cœur dans la caverne de la Haine

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A. Siffer (p. 41-46).

MON CŒUR DANS LA CAVERNE DE LA HAINE

À M. Louis Delattre



M on cœur dans la caverne de la Haine,
Mon cœur dans la grotte, parmi les serpents,
Mon cœur sous les parois qui dégouttent de haine,
Mon cœur pantelant,

Mon cœur prisonnier comme l’or du Rhin,
Mon cœur sous les parois qui dégouttent de haine,Mon cœur piqué par le dard des vipères,
Mon cœur enflammé de leur venin
Dans l’antre du dragon Fafner,

Mon cœur sous des dos de reptiles tressés,
Mon cœur tuméfié comme un corps
Noyé, mon cœur, enjeu du monde, est gardé
Par le monstre ainsi qu’un grand trésor.

Les heures tombent sur mon cœur,
Le venin coule goutte à goutte

Et tout saignant mon cœur écoute
Goutte à goutte tomber les heures.

Il se souvient du temps très lointain
Des aurores roses et des flots chanteurs
Et des rives bordées de fleurs
Et de soleil il se souvient.

Il se souvient des filles aux voix d’or
Aux longs ondulements dans l’onde amoureuse
Qui frôlait de caresses langoureuses
Les beaux corps veloutés d’un duvet d’or.

Il se souvient des frêles châtelaines,
Parmi les nénuphars mirant leurs grands yeux purs
Dans le cristal fleuri des fontaines,
Étoiles oubliées par la Nuit dans l’azur.

Oh ! vers quel pays de lumière ivre
Mon cœur cinglerait, vieux navire sans mât ;
Vers quel là-bas, mon cœur, vers quel là-bas
Se traîner et quelle demeure où vivre !

Mais les heures tombent sur mon cœur,
Le venin coule goutte à goutte,

Et pantelant et bourdonnant mon cœur écoute
Goutte à goutte, perverses, tomber sur lui les heures.

Quel Saint Michel cuirassé de fer
Viendra, rayonnant de lumière,
Quel Siegfried vierge et fol, ignorant de la peur
Tuera le dragon crachant du soufre et des vipères
Qui veille dans son antre, accroupi sur mon cœur.