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préoccupations des gens de Bretagne. Mais précisément, ils sont friands de détails sur une telle affaire, et je ne suis pas surpris de les voir en rangs serrés, la mine grave, les yeux fixes, ne perdant pas un mot du récit de la terrible aventure. Tous ont l’inquiétude du drame lointain, de son bruit grondant et de sa flamme.

L’église et la chapelle de Châteauneuf ne valent que par l’admirable paysage dont elles font partie. Pendant quelque temps encore, je regarde cette large ouverture où pourrait couler un fleuve. La route reprise, c’est la fin du jour lorsque j’arrive à Pleyben. Je me retrouve là en pays connu. Je suis venu plusieurs fois à Pleyben, qui est situé sur un plateau où se croisent les routes qui vont à Morlaix et à Quimper, à Carhaix et à Châteaulin. Je choisirai la direction de Châteaulin, mais je trouve plaisir, avant, à revoir l’immense place bordée de maisons irrégulières. C’est une des plus grandes places que j’aie vues au centre des bourgs de Bretagne, et j’aimerais la voir animée par un marché ou par une fête. Je n’ai pas, alors, bien choisi mon jour, car je ne pouvais trouver, en sortant du tumulte de Châteauneuf-du-Faou, un contraste plus net qu’en descendant de voiture au milieu de cette solitude. La vie pourtant n’est pas absente. Quelques enfants se tirent par la main, quelques silhouettes passent au long des murs ou se tiennent sur le pas des portes. Je vois des rideaux blancs se relever ça et là, et des yeux qui épient l’étranger à travers les vitres des boutiques. La curiosité, après tout, est bien naturelle, et ces reclus ont certes le droit de regarder un voyageur. Ils le regarderaient bien davantage s’ils se doutaient que ce passant est là pour les regarder, eux aussi, pour dire le décor de leur existence, ce qu’il peut apercevoir de leur vie, ce qu’il peut deviner de leurs pensées.

GROUPE DE FEMMES À CHÂTEAUNEUF-DU-FAOU.

Ce que j’aperçois de plus eu plus, c’est que cette existence des gens des villages, des bourgs, des petites villes, n’est pas aussi morne qu’on est tenté de le croire au premier aspect. D’abord, elle comporte les mêmes grands événements que l’existence des grandes villes, événements qui sont liés au fond permanent, partout semblable, des sentiments humains. Partout, il y a l’espoir de la jeunesse, l’amour, la famille, la naissance et l’éducation des enfants. Partout, il y a la maladie, la vieillesse, la mort. Le reste, vraiment, n’est que l’accessoire. Un cultivateur est aussi occupé qu’un ouvrier, qu’un employé, et s’il réfléchissait, il aimerait mieux se trouver aux champs qu’à la ville, enfermé dans une usine ou dans un bureau. Pour les commerçants des bourgs et des petites villes, ils n’ont pas la même activité à dépenser que les chefs de grandes industries, que les directeurs de maisons internationales. Toutefois, ces chefs et ces directeurs, on les compte. Combien de petites boutiques provinciales dans une ville comme Paris ! L’intérêt d’une occupation vient de l’ardeur qu’on y apporte. Les commerçants de Pleyben peuvent déployer une finesse, une diplomatie extraordinaires à vendre des lainages et des cotonnades, des objets de quincaillerie, des denrées coloniales. Les journées, alors, ne sont pas trop longues pour eux. Et songez que sur les sept journées de la semaine, il y a le dimanche, qui est un jour de réjouissance, de repos et d’excellent ennui, et qu’il y a le jour du marché, et que les cinq autres jours peuvent encore être employés à courir les foires et les marchés des environs. Ce sont les réflexions que je dévide sur l’immense place de Pleyben, et dans quelques boutiques où j’entre et cause avec des marchands et des marchandes, qui me semblent, ma foi, des personnes fort avisées, pleines de gaîté et de malice. On me renseigne, entre autres choses, sur de jolis bonnets noirs, d’un modèle fort ancien, que je vois sur presque toutes les têtes des petites filles. On fait beaucoup de ces bonnets à Pleyben, depuis les plus simples, en drap, jusqu’aux plus luxueux, en velours et en soie.

Et Pleyben a encore un autre attrait, un double attrait même, c’est son église et son calvaire. L’église,