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un drapeau attaché à une barre de traîneau. Autour, des vestiges de campement ; des traces d’allées et venues de traîneaux, de skis, et des empreintes très nettes de nombreuses pattes de chiens. Un simple coup d’œil nous révèle tout : les Norvégiens nous ont devancés au but ! les premiers ils ont atteint le Pôle ! Notre déception dépasse tout ce qu’on peut imaginer…

Mercredi, 17 janvier. — Soixante-neuvième campement. Nous sommes au but, mais dans des conditions combien différentes de celles que nous espérions ! Journée affreuse : vent debout violent, et 30° sous zéro ; un pareil temps augmente encore l’acuité de la déception. Mes compagnons ont les pieds et les mains glacés.

Ce soir, malgré notre cruelle déception, rata très copieux ; après son absorption, nous éprouvons un très grand bien-être. À ce plat on ajoute une petite tablette de chocolat et une cigarette offerte par Wilson. Maintenant, nous allons battre en retraite à toute vitesse, et entamer une lutte désespérée pour ne pas nous laisser devancer par la mauvaise saison. Y parviendrons-nous ?

Jeudi matin, 18 janvier. — Bowers aperçoit un cairn ; il renferme un document indiquant le passage de cinq Norvégiens : Roald Amundsen, Olav Olavson Bjaaland, Helmer Hanssen, Sverre H. Hassel, Oscar Wisting, 16 décembre 1911. Une note d’Amundsen, que je garde, me prie de faire parvenir une lettre au roi Haakon. Trois sacs en peau de renne contenant un assortiment varié de mitaines et de bas pour la nuit, un sextant, un horizon artificiel de fabrication norvégienne, un hypsomètre dépourvu de thermomètre, un sextant et un second hypsomètre ont été laissés là par nos heureux rivaux.

Nous laissons une note relatant notre passage. Nous élevons un cairn et déployons notre pauvre Union Jack, puis exécutons une photographie de notre groupe ; pendant tout ce travail, on sent terriblement le froid !

À moins de 800 mètres dans le Sud, aperçu un patin de traîneau fiché dans la neige. Nous le prenons pour en faire une vergue lorsque nous établirons la voilure sur le traîneau. Suivant toute probabilité, il marque le point du Pôle, tel que les Norvégiens l’ont déterminé. Nos prédécesseurs ont accompli en entier leur programme. Je suppose qu’ils sont arrivés au but le 15 décembre et l’ont quitté le 17, par conséquent en avance sur la date du 22 décembre qu’avant mon départ pour l’Antarctique j’indiquais comme désirable. L’expédition norvégienne s’attendait, semble-t-il, à éprouver sur le plateau de plus grands froids que ceux qu’elle a rencontrés.

Maintenant nous tournons le dos au but de notre ambition, pour entamer un nouveau labeur singulièrement rude : 1 280 kilomètres pendant lesquels nous aurons à haler notre traîneau au prix de pénibles efforts et sans le soutien de nos beaux rêves !

LE LIEUTENANT BOWERS.

Vendredi, 19 janvier. — Température : 30°,3 sous zéro. Peu de temps après le départ, retrouvé un cairn norvégien et nos propres traces.

La neige fraîche rend la piste fort mauvaise ; pendant la dernière heure, halage très pénible, quoique le traîneau soit léger et que le vent gonfle la voile. Par endroits, nos anciennes traces ont été oblitérées, et par-dessus se sont formés des sastrugi dentelés. Le vent joue avec cette neige pulvérulente comme avec du sable. Comment se fait-il que les sillons laissés par notre traîneau, qui datent de trois jours seulement, soient en partie effacés, tandis que ceux des Norvégiens, vieux d’un mois, demeurent visibles ?

Nous relevons aisément nos cairns, et espérons qu’il en sera toujours ainsi ; naturellement nous ne serons hors d’inquiétude qu’une fois le dépôt des Trois-Degrés atteint. Le retour sera, je le crains, terriblement fatigant et monotone.

Samedi, 20 janvier. — Ce matin, en dépit d’une piste affreusement mauvaise, progrès rapides : 9 milles 3 en cinq heures vingt. Cette marche nous amène au dépôt du Sud ; nous y reprenons les rations