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La route du Bac de Cook à Yale, et surtout la portion qui est en aval de Lytton, est bien la plus extraordinaire qui existe au monde. Taillés dans les flancs de la gorge, ses détours perpétuels la font ressembler à une chaîne d’S. Elle ressemble d’en bas à une ligne tortueuse égratignée sur un rocher arrondi, dont la hauteur est de cinq à six cents pieds au-dessus du fleuve. Elle n’a d’ailleurs aucune espèce de parapet ; la route surplombe ; rien dans le précipice ne supporte la plate-forme où elle passe.

C’est entre Lytton et Yale que se trouvent la plupart des barres ou bancs de sable qui ont donné, lors de leur découverte, une si étonnante quantité d’or. Les Chinois sont les seuls aujourd’hui à les exploiter ; ils s’y font d’un à dix dollars par jour.

Nous avons vu, çà et là, des tombes indiennes, ornées de nombreux drapeaux et souvent de figures sculptées, ayant presque la grandeur naturelle, et peintes avec soin. Ordinairement le fusil du défunt et ses couvertures, avec la plupart de ses autres effets, étaient suspendus à des perches auprès de la tombe.

Environ à quinze milles au-dessus d’Yale, la gorge à travers laquelle se précipite le Fraser devient fort étroite ; c’est ce qu’on nomme la Chaîne aux Cascades ; la distance jusqu’à la ville n’est plus pour le fleuve qu’une succession de rapides appelés les Cagnons ou canyons[1] suivant la prononciation des habitants. De chaque côté, les montagnes ont trois ou quatre mille pieds de haut. Le Fraser, qui jusqu’alors n’a été guère qu’un torrent plein de roches, devient ici réellement furieux : il écume, il fait rage dans ce canal resserré, où il s’élance avec une vitesse de vingt milles à l’heure.

Une auberge du caribou à minuit. — Dessin de Émile Bayard d’après MM. Milton et Cheadle.

Arrivés à Yale vers quatre heures de l’après-midi, nous y commandâmes le meilleur dîner que l’Hôtel Colonial pût nous offrir. Cette maison était tenue par un Français qui, en cette occasion, se surpassa.

La petite ville d’Yale n’est après tout qu’une rue faisant face à la rivière au moment où, venant de s’échapper des Cagnons, elle forme un large et noble fleuve. Les maisons de bois, blanchies et propres, ornées de drapeaux, ont toute la gaieté que peut désirer un Yankee. On trouve de l’or dans la rue d’Yale et, pendant notre dîner, deux Indiens cherchaient l’or, avec une bascule ou roker[2], en face de l’hôtel.

  1. Canon, en espagnol, signifie tuyau et indique des formations en prismes basaltiques comme on en voit figurer au cagnon de l’Écho dans les montagnes Rocheuses (Tour du Monde, 1862, II, p. 360) ; les Anglais emploient ce mot, dans l’Amérique du Nord, pour signifier col ou défilé. (Trad.)
  2. Roker ou cradle, berceau ; machine décrite dans le Tour du Monde, 1862, I, p. 14. (Trad.)