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Le lendemain nous prîmes place sur le bateau à vapeur qui descendait jusqu’à New-Westminster, à l’embouchure du Fraser : on y a déjà élevé plusieurs rues de bonnes maisons de bois.

De Nev-Westminster, nous nous sommes embarqués le 19 septembre, pour Victoria, dans l’île Vancouver.

Victoria est admirablement située, sur les bords d’une baie rocheuse, espèce de conche creusée dans le promontoire que forme la mer pour pénétrer dans le havre Esquimalt et s’enfoncer dans les terres.

Tout le trafic de la Colombie Britannique passant, à l’entrée et à la sortie, par cette ville, ses marchands se sont rapidement enrichis, et de beaux magasins en briques y remplacent les bâtiments en bois[1].

Nous étions loin d’avoir renoncé à l’idée de visiter le Caribou, bien que nous n’eussions pas réussi à y pénétrer par la route directe, et qu’il fût éloigné de Victoria de plus de cinq cents milles.

Le 29 septembre, nous mîmes chacun une paire de chaussettes, une chemise de flanelle et une brosse à dents dans nos couvertures que nous roulâmes en un paquet, à la façon des mineurs ; nous enfonçâmes nos jambes dans de grandes bottes à genouillères, et nous montâmes à bord du bateau à vapeur Otter, en route pour New-Westminster, où nous prîmes le bateau à vapeur pour Douglas sur l’Harrison, afin de parcourir l’autre route qui conduit au Caribou par les lacs et par Lilloet.

En passant par Douglas et Pemberton, par la voie des lacs et des portages, nous rencontrâmes de nouveau le Fraser à Lilloet, à deux cent soixante-cinq milles environ de New-Westminster et à trois cents de Victoria. Sur cette route, particulièrement sur les lacs Anderson et Seton, le paysage a une sauvage grandeur.

De toutes parts les montagnes s’élèvent brusquement du sein de l’eau, escarpées, rocheuses et stériles.

La ville de Lilloet, située sur une des terrasses du Fraser, était pleine de mineurs qui descendaient à Victoria pour y passer l’hiver. On buvait, on jouait tout le long du chemin jusqu’après minuit, au milieu d’un déluge incessant de jurons et d’argot de mineurs.

Nous prîmes des places dans la diligence qui va de Lilloet à Soda Creek, sur le Fraser.

Un bateau à vapeur navigue de Soda Creek à la bouche de la Quesnelle, et, de là, un chemin de mulet conduit à Richfield, dans William’s Creek, au centre des mines du Caribou.

La route, unie et bien faite, a souvent dix-huit pieds de large. On passe le Fraser au moyen d’un bac, à quelque distance de Lilloet ; puis on remonte la vallée du Fraser pendant une vingtaine de milles, en tournoyant par-dessus les flancs escarpés des hauteurs. À la vallée Pavillon, la route tourne vers le nord-est, jusqu’au pied du mont Pavillon, où elle franchit une élévation de quinze cents pieds par de rapides zigzags. Notre attelage, réduit alors à quatre chevaux, n’était plus à la hauteur de sa tâche, et nous dûmes gravir à pied la montée.

Du sommet, nous eûmes, vers le sud-est, une vue étendue et nous pûmes examiner la curieuse façon dont était formé le côté de la descente. Près de nous, se trouvait un creux dans lequel la surface présentait une succession de gonflements onduleux qui devenaient plus considérables à mesure qu’ils approchaient du fond. Ce creux nous eut l’air d’un cratère éteint, d’où la lave se serait jadis échappée en courants houleux qui se seraient figés peu à peu, refroidis et convertis, par degrés, en la pente inégale et revêtue de gazon que nous apercevions.

Un plateau herbeux commence à la cime du mont Pavillon et a une longueur de six à huit milles. La route s’élève ensuite avec rapidité et nous conduisit en haut des Rampes du Serpent. Devant nous, la descente se précipitait pendant deux mille pieds en zigzags. Coupé sur le flanc de la montagne, il ne complète souvent sa largeur qu’au moyen de poutres étendues au-dessus du précipice ; excepté aux tournants, deux voitures n’y peuvent passer de front sans danger, et on n’a aucun parapet.

Après avoir passé Clinton, où aboutit une route qui va par Yale, le chemin recommence à monter. Après quelques milles, nous arrivâmes sur le plateau, composé d’un sol sablonneux et stérile, où poussent de petits sapins en grand nombre, et qu’entrecoupent plusieurs lacs.

Tout le long de notre route les logements avaient été assez misérables ; ils devinrent abominables après Clinton. La seule couche qu’on trouvât était le plancher des auberges ou maisons situées au bord de la route, à chaque dizaine de milles et qui n’ont pas d’autre nom qu’un certain numérotage en rapport avec la borne de poste la plus voisine, par exemple, « la maison du cinquantième mille. » Nos uniques couvertures rembourraient assez peu les inégalités des planches mal taillées et nous protégeaient médiocrement contre les froids vents-coulis, qui sifflaient entre les ais mal joints de la porte. Ces auberges ne sont que des huttes de troncs mal équarris, formant une seule chambre. À une extrémité, s’ouvre une large cheminée, et, sur un côté, s’élève un comptoir derrière lequel sont posées des planches qui supportent des rangées de bouteilles pleines des boissons alcooliques les plus communes. Suivant la saison, en allant aux mines ou en revenant, les mineurs, hommes de toutes nations, Anglais, Irlandais, Écossais, Français, Italiens et Allemands, Yankees et nègres, Mexicains ou hommes nés dans les îles de l’océan Pacifique, arrivent vers le soir par bandes de deux ou trois, se débarrassent du rouleau de couvertures qu’ils ont sur le dos, le posent à terre et s’en servent comme de siéges, car la hutte n’en a que peu ou point du tout. La première chose qu’ils demandent ensuite, c’est à boire. Celui de la bande qui est le mieux en fonds fait la proposition, et le reste des assistants est ordinairement invité à y prendre part.

  1. Victoria a été représentée telle qu’elle était en 1858, dans le Tour du Monde, 1860, I, p. 292. (Trad.)