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que je retrouverai tout cela dans le Tour du Monde, si jamais j’en ai besoin pour l’illustration de mes Guides ?

« Et maintenant, songeons au départ. Je dois être ce soir à Clermont, et j’aperçois, grimpant la côte, le courrier du Puy, qui me déposera dans deux heures à Brioude. Vous, qui ne pouvez attendre ici jusqu’à la nuit le passage d’une nouvelle diligence, vous allez vous installer dans le petit char à bancs qui m’a cahoté depuis trois jours sur les impossibles chemins de traverse de ce pays. Il devait retourner au Puy à vide ; il vous y portera lestement : car d’ici là, il n’y a qu’à descendre. »

Ayant ainsi réglé nos affaires et les siennes, notre ami prit congé de nous sans accueillir nos remercîments, mais non sans nous crier, à travers la portière de la voiture qui se refermait sur lui : « Encore un avis. J’ai découvert à quelques minutes de Fix, là-bas, vers le couchant, une éminence qui commande un horizon immense : dans l’intérêt de vos études géognostiques, ne manquez pas d’y aller. »

La voiture était partie ; le bruit des roues, des ferrailles et des sabots des chevaux retentissait sur le basalte sonore de la route, que l’excellent Joanne nous parlait encore de la voix et du geste. Mais son conseil était bon ; nous le suivîmes immédiatement.

L’éminence dont il vient d’être question n’est qu’une des nombreuses boursouflures volcaniques, alignées sur le faîte de cette chaîne du Velay, qui, projetée des flancs septentrionaux des Cévennes, parallèlement à celle du Vivarais, enserre avec celle-ci, dans un ovale irrégulier, le bassin de la Loire naissante. Bien que de très-peu plus élevée que les plateaux qui l’entourent, cette sommité, facile à reconnaître au nord-ouest de Fix, grâce au signal trigonométrique qu’elle supporte, à 1 230 mètres d’altitude et que ne domine aucune autre cime dans un très-grand rayon, forme un observatoire orographique des plus précieux. Du côté du couchant, la vue n’y est bornée que par les chaînes volcaniques de l’Auvergne et du Cantal, et glissant au midi le long des côtes noires de la Margeride, elle s’étend à l’orient jusqu’aux escarpements du Mézenc, et loin de se perdre dans le dédale de cimes, de ravins, de plateaux anguleux, de déjections volcaniques qui découpent en tous sens le bassin de la Haute-Loire, elle plane d’assez haut sur ce cirque de Titans, pour en circonscrire l’ensemble tourmenté et suivre le développement de son enceinte.

Le chapitre suivant est tout entier le résultat d’études et d’observations prolongées et suivies sur le pourtour et dans l’intérieur de ce bassin, mais dont le point de départ est la butte trigonométrique de Fix.


XIV


Le bassin de la Haute-Loire.

Au commencement de la période géologique, que les savants spéciaux ont désignée sous le nom d’éocène[1], la plus ancienne de l’époque tertiaire, alors que se déposaient les premières couches sédimentaires d’eau douce du bassin de Paris, l’Auvergne, le Cantal et le Velay renfermaient une série de lacs, dont la distribution géographique des lacs actuels de la Suisse peut donner une idée. Comme ceux-ci, ces anciens bassins occupaient les dépressions d’une région montagneuse ; ils étaient alimentés par des rivières et par des torrents. Une de ces dépressions est représentée aujourd’hui par le bassin dont la ville du Puy occupe le centre ; une de ces rivières par la Loire actuelle.

La chaîne du Velay, qui limite ce bassin au couchant, est de base granitoïde, recouverte comme d’un manteau par les produits d’une ancienne activité volcanique, qui s’est étendue du nord au sud, depuis les environs de Fix jusqu’à Pradelle et à Aubenas. Sur la carte, ces reliefs du sol forment comme une prolongation de la chaîne des puys d’Auvergne, mais il est douteux qu’ils soient d’une date aussi récente que ces derniers.

Les différents points d’où a jailli la matière ignée sont encore marqués, comme en Auvergne, par de nombreux cônes de scories. Ils occupent la crête de la chaîne granitique qui sépare la Loire de l’Allier, depuis Paulhaguet jusqu’à Pradelle, et ils sont si rapprochés que, souvent, ils se touchent par la base et forment une chaîne presque continue.

Sur les deux versants ils sont plus sobrement distribués, et de plus en plus clair-semés, à mesure qu’ils se rapprochent de l’une ou de l’autre de ces deux rivières. Ils deviennent plus rares encore entre Pradelle et Aubenas, et ils n’ont laissé aucune trace au sud de cette dernière ville. Il en existe pourtant au nord-est de Pradelle, dans le voisinage de Prézailles, un groupe considérable qui se relie aux grandes failles volcaniques du Vivarais. Dans l’espace ainsi circonscrit, on peut facilement retrouver plus de cent cinquante de ces cônes, et leur nombre total a sans doute dépassé ce chiffre de beaucoup.

Ils sont loin d’être dans le même état de conservation que la plus grande partie de ceux que nous avons étudiés en Auvergne. Rarement même ils possèdent un cratère entier ou distinctement tracé, et ils affectent presque tous cette forme en dos d’âne que la dégradation donne à tous les cônes volcaniques. La plus grande partie des matériaux qui les ont élevés ne se composent que de scories, de bombes de lave, de lapillo, de sable volcanique, de fragments de granit et de basalte, et quelquefois d’éclats massifs de cette dernière roche, véritables blocs erratiques, soulevés et entraînés par des courants de feu. Leur surface est couverte d’une herbe rare et maigre, ou parfois de bruyères rabougries et desséchées ; mais leur dégradation est incessante, et les météores changent leurs moindres fissures en ravines, qui à leur tour deviennent des vallons.

Les coulées de lave issues des cratères du Velay se sont épanchées sur les deux versants du boursouflement de granit qui les a vomies, d’un côté dans le lit de la Loire, de l’autre dans celui de l’Allier. Les changements qu’elles ont fait subir aux thalwegs de ces deux rivières ont différé du tout au tout.

  1. D’après deux mots grecs, ήως et χαιυος, qu’on peut traduire par aurore naissante.