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le baile nacional, ballet qui donne du piquant à la représentation, et vaut beaucoup mieux, parfois, que la comédie ou le drame ; aussi disait-on autrefois que la danse était la sauce de la comédie, — la salsa de la comedia.

Mais à côté des danses théâtrales, il y a les danses populaires, celles qu’on voit les jours de fête ou de pèlerinage, dans les tavernes de la ville ou des faubourgs, et enfin les bals qu’on donne de temps en temps dans certains établissements qui prennent le titre d’académies ou écoles de danses, et dont les directeurs ne manquent jamais d’envoyer le programme dans les hôtels ou dans les casas de huespedes.

Un matin, on nous remit une superbe affiche imprimée sur papier rose : c’était l’annonce d’un bal donné par don Luis Botella, le directeur d’une academia de baile, ou académie de danse. Cette annonce, rédigée partie en français, partie en espagnol, contenait les promesses les plus séduisantes. On pourra en juger par la reproduction textuelle que nous donnons, en conservant à cette réclame andalouse toute sa couleur locale et ses incorrections :

GRANDES Y SOBRESALIENTES
BAILES DEL PAYS.

Dans le vaste Salon du Recreo, le plus renommé de cette ville, établi par son directeur don Luis Botella, rue de Tarifa, no 1, il y aura ce soir et tous les samedis suivants des danses extraordinaires NATIONALES ET ANDALOUSES, dont l’exécution est chargée aux plus célèbres BOLERAS du théâtre de cette capitale, aux élèves du directeur, et à la première danseuse espagnole

DONA AMPARO ALVAREZ
LA CAMPANERA

accompagnées des chanteurs les plus crédités (sic).

LE BAL COMMENCERA À 8 HEURES 1/2.

Le directeur de ce salon n’a omis aucun sacrifice pour que rien ne manque à l’agrément et au charme de ces amusements si fréquentés par tous les amateurs du pays et Messieurs les étrangers.

Outre les danses andalouses des samedis, il y aura tous les dimanches et tous les jours de fête un BAL DE SOCIÉTÉ pour les personnes qui auront l’obligeance de s’y rendre.

On y enseigne aussi toutes les danses connues à la plus grande perfection et à la portée de l’estime publique dont le directeur jouit dans son art.

LOS BAILES DE PALILLOS SERAN LOS SIGUIENTES :
(Les danses de palillos seront les suivantes) :

Seguidillas, bolero, manchegas, mollares, boleras de Jaleo, la jácara, ole, polo del contrabandista, ole de la curra, jaleo de Jerez, malagueñas del torero, boleras robadas, jota, vito, gallegada y los panaderos acompañadas à la guitarra.

Alléchés par une annonce aussi pleine de couleur locale, et désireux de ne pas manquer cette occasion de voir de près les danses nationales, nous prîmes, à l’heure dite, le chemin de l’academia de baile. Après avoir suivi la Calle de las sierpes et laissé sur notre gauche la Plaza del Duque, nous entrâmes dans la Calle de Tarifa ; la première maison à droite était précisément le siége de l’académie de danse du sieur don Luis Botella. Nous gravîmes les marches d’un escalier roide et étroit, à peine éclairé par la lumière douteuse d’un candil de fer accroché au mur, et nous arrivâmes au second étage, où était situé le fameux salon del recreo.

Le salon en question, pompeusement décoré par la propriétaire du nom d’académie, n’était en réalité qu’une grande pièce ayant la forme d’un carré long, et dont la décoration et le mobilier étaient d’une simplicité digne des premiers âges. Nous étions arrivés les premiers, et nous pûmes à notre aise en faire l’inventaire.

Quatre de ces grands canapés garnis de paille, si communs en Andalousie, disposés sur les côtés de la salle, et quelques chaises du même genre, dont un certain nombre étaient réservées pour les boleras, composaient tout le mobilier du salon ; les fenêtres étaient modestement garnies de rideaux de calicot blanc à bordure rouge et jaune, et sur les murs, blanchis au lait de chaux, étaient accrochés quelques cadres de sapin verni renfermant différents sujets relatifs aux danses andalouses. Nous eûmes le temps d’admirer, avant l’arrivée des boleras, plusieurs de ces lithographies rehaussées des couleurs les plus éclatantes représentant le Polo del contrabandista, la Malagueña del Torero et autres pas fameux, chefs-d’œuvre fabriqués par la maison Mitjana de Malaga pour l’ornement des boîtes de raisins secs destinées à l’exportation. La galerie se composait encore de quelques portraits de danseuses illustres, comme la Perla, Aurora la Cujiñi, la Nena, et autres bailadoras dont le nom est resté célèbre dans les annales de la chorégraphie espagnole. Mais le morceau capital, qui occupait à juste titre la place d’honneur, c’était un dessin d’un artiste indigène, retraçant avec une vérité naïve l’image du directeur de l’académie en grand costume de bolero dans la plus triomphante attitude du jaleo de Jerez.

Doré, qui voulait s’insinuer dans les bonnes grâces du directeur, ne rougit pas de lui faire de grands compliments sur son portrait ; seulement, nous lui exprimâmes nos regrets de ne pas le voir orné de son splendide costume de danseur andalous ; car il faut dire, que don Luis Botella, était simplement vêtu d’un pantalon et d’une veste courte laissant voir une chemise richement brodée : c’était un homme de petite taille, mince, aux favoris court taillés en côtelette et aux cheveux noirs luisants de pommade ; en un mot, le type accompli du danseur andalous.

Pendant que nous causions avec le maître de la maison, — dueño de la casa, le salon se garnissait peu à peu ; mous vîmes arriver successivement des amateurs du pays, portant pour la plupart, le pantalon de tricot noir ou marron et le marsille ou veste courte andalouse ; c’étaient presque tous des artisans, car les personnes de la classe élevée daignent rarement assister aux bailes de palillos, c’est-à-dire, aux bals à castagnettes. Vinrent