Page:Le Tour du monde - 14.djvu/420

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de mille lieues de son embouchure, est déjà un résultat d’une importance considérable. Les observations astronomiques de M. Mage ne seront pas moins précieuses pour la carte de ces parties intérieures.

Sur l’état politique des pays du Dhiolibâ au-dessous de Ségou jusqu’à Timbouktou, les informations rapportées par les deux voyageurs le représentent comme très-agité. Dans le Massina, grand pays entre le Bambara et Timbouktou, il y avait lutte entre deux prétendants de la famille d’el-Hadj Omar ; et la ville elle-même de Timbouktou, soutenue par un certain nombre de tribus, allait sûrement chercher à ressaisir sa complète indépendance vis-à-vis des Peuls.

L’heureux retour de MM. Mage et Quintin clôt d’une manière brillante la série des voyages d’exploration entrepris depuis 1859 par des officiers français de notre établissement du Sénégal durant l’administration de M. Faidherbe, qui laissera un profond souvenir dans la colonie. Les noms de MM. Vincent, Bourrel, Boû-el-Moghdad, Lambert, Braouézec, Pascal et Alioun-Sal, avec ceux de MM. Mage et Quintin, tiendront une belle place dans l’histoire géographique des pays qui bordent les deux côtés du Sénégal.

Tous sont heureusement revenus, apportant leur contingent de renseignements nouveaux au faisceau de nos connaissances sur le Soudan. « Le succès de leurs voyages dans des contrées d’où il ne revenait pas auparavant un voyageur sur dix, prouve en même temps, dit M. Faidherbe, combien l’influence de la France s’est sérieusement établie dans cette partie de l’Afrique. »


V

De notre ancienne et vaste colonie du Sénégal à notre établissement nouveau de la Cochinchine, il nous faut franchir presque toute la largeur de l’ancien monde. Là aussi, il y a pour nous des entreprises à la fois politiques et scientifiques ; là aussi il y a des pays à découvrir, des peuples à connaître, des relations à établir, tout un ensemble d’explorations à organiser et à poursuivre. Cette grande presqu’île qu’on appelle l’Indo-Chine, non pas seulement parce qu’elle touche d’un côté à la Chine et de l’autre côté à l’Inde, mais parce que ses populations tiennent à la fois des deux nations limitrophes, — de la Chine, par le sang et la race, de l’Inde, par le culte et la civilisation religieuse, — cette grande presqu’île Trans-gangétique, disons-nous, est, dans ses parties intérieures, une terre presque vierge encore d’investigations sérieuses. Même dans ses divisions les mieux connues, le royaume Barman et le royaume de Siam, il y a encore immensément faire pour l’étude scientifique ; et plus avant dans l’intérieur, il y a des contrées entières, le Laos, par exemple, sauf un ou deux points à peine entrevus, où jamais Européen n’a mis le pied. C’est toute une géographie à créer, tout un ensemble d’investigations ethnologiques à approfondir.

Plusieurs voyageurs ont dans ces derniers temps quelque peu frayé la voie. Le nom de M. Mouhot et ses courses dans le Kambodj, sont bien connus des lecteurs du Tour du Monde. M. Mouhot voyageait en naturaliste et en artiste plus qu’en archéologue et en géographe ; ses descriptions des ruines bouddhiques dont le Kambodj est semé n’en ont pas moins un très-grand intérêt, et il a aussi donné des détails tout nouveaux sur quelques unes des tribus incultes qui habitent un pays de montagnes et de forêts entre le Kambodj et la Cochinchine. D’autres touristes anglais ont depuis lors poussé leurs excursions dans ce coin curieux de la Péninsule, qui appelle encore la sérieuse étude d’un archéologue et le puissant secours de la photographie. Déjà, cependant, un savant voyageur allemand, le docteur Bastian, qui vient de publier deux volumes des plus substantiels sur l’Indo-Chine[1], a copié une partie des inscriptions d’Ankor-Vah, la plus considérable des ruines du Kambodj, et en a préparé le déchiffrement. Le docteur Bastian a réuni laborieusement un nombre prodigieux de faits ; il ne manque à son livre, pour lui donner toute sa valeur, qu’un peu plus de choix et d’élaboration dans les matériaux, et dans l’ensemble une plus heureuse disposition. Les préoccupations du savant voyageur étaient d’ailleurs tournées entièrement vers l’archéologie et l’ethnologie ; ses journaux ont très-peu de valeur pour la géographie, faute d’observations et d’indications précises dans les itinéraires.

Il reste donc énormément a faire pour les explorateurs auxquels notre position dans la Péninsule ouvre un large et beau champ d’études. Déjà une expédition sur laquelle nous n’avons pas jusqu’à présent de bien grands détails est partie de Saïgon pour visiter le Kambodj, où nous sommes reçus en amis, et remonter le Mé-khong, le plus oriental des quatre grands fleuves de l’Indo-Chine. La mission, embarquée sur le fleuve, s’est mise en route le 6 juin. Nous ignorons encore quel est précisément son but ; mais quoi qu’elle fasse, composée comme elle l’est d’hommes capables, d’officiers expérimentés, et munie amplement d’instruments d’observation, elle posera tout au moins les bases de la carte pour la région orientale de la Péninsule, comme les Anglais l’ont posée dans l’ouest, par leur relevé exact de l’Iravadî, le grand fleuve du Barmà. L’expédition française ne ferait-elle que planter des jalons et fixer astronomiquement deux ou trois points principaux de l’itinéraire évidemment très-mal construit de M. Mouhot, elle aurait déjà rendu un signalé service à la géographie de ces quartiers.

Pendant ce temps, il se publie à Saïgon et en France d’excellents morceaux et de remarquables études sur notre colonie. On formerait déjà, de ces publications fragmentaires, une longue bibliographie. La vie est entrée avec nous, la vie économique, commerciale et

  1. Les peuples de l’Asie orientale. Études et voyages, par le Dr A. Bastian (en allemand). Leipzig, 1866, 2 vol. in-8o (tomes I et II de l’ouvrage, qui doit en avoir cinq). Le tome 1er a pour titre spécial : Histoire des Indo-Chinois, tirée des sources indigènes ; et le tome II, Voyage au Birmá, 1861 et 1862. Ce volume s’arrête à l’entrée du voyageur dans le royaume de Siam.