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signaler l’apparition d’une excellente traduction de la relation de Palgrave[1]. Ce remarquable voyage, le premier qui nous ait introduits au cœur de la Péninsule où nul Européen jusqu’alors n’avait pénétré, est de ceux qui font époque, non pas seulement dans l’exploration d’une contrée particulière, mais dans l’histoire géographique d’un continent ; l’interprétation à la fois élégante et fidèle du traducteur, a su conserver la simplicité pleine d’abandon, la distinction sans recherche et la finesse légèrement humoristique, qui donnent à l’original un cachet particulier. C’est d’un pareil livre qu’on peut dire sans hyperbole qu’il appartient éminemment à la littérature géographique.


VIII

Que dirons-nous de l’Amérique ? À peine remis de sa guerre fratricide, et tout plein de la fiévreuse agitation qui suit les grandes perturbations sociales, le Nord n’est pas rentré encore dans la vie scientifique. Au Mexique, les circonstances que tout le monde connaît, en paralysant, en entravant du moins le développement du nouvel Empire, ont dû nuire aussi, sans aucun doute, aux études locales entreprises sous l’inspiration et avec les instructions de la Commission scientifique de Paris. De très-remarquables travaux, quoique dans un cercle plus limité qu’on ne l’avait projeté d’abord, — peut-être, après tout, n’est-ce pas un mal, — n’en ont pas moins été faits et se poursuivent encore actuellement. La prochaine Exposition apportera aux yeux de tous, je crois pouvoir le dire, un splendide témoignage de la richesse des récoltes, en histoire naturelle et en archéologie, qui déjà, depuis dix-huit mois à peine, ont récompensé le zèle de nos explorateurs. Que serait-ce si trois ou quatre années d’investigations avaient permis de pousser les recherches dans les provinces de l’ouest et du sud, que les explorations antérieures ont à peine effleurées ! Peut-être ces recherches se continueront-elles, peut-être seront-elles arrêtées, nul ne peut le dire en ce moment. La géographie n’a pas été négligée ; indépendamment des lignes parcourues par un de nos voyageurs, dont les belles et copieuses études fourniront certainement les éléments d’une des plus importantes relations qui aient été données sur le Mexique, les officiers du génie attachés à nos colonnes ont relevé un très-grand nombre d’itinéraires et de reconnaissances qui rayonnent dans toutes les directions autour de la vallée centrale ; et ces précieux matériaux, transmis au ministère de la guerre et communiqués à la Commission scientifique, fourniront les éléments d’une carte générale, qui sera, malgré ses lacunes, une des meilleures que l’on possède sur aucune partie de l’Amérique.

En somme, à quelque point que doivent s’arrêter les travaux de la Commission, elle aura marqué son passage sur le sol mexicain ; elle y aura déposé un germe qui portera ses fruits. À nos yeux, ce qui devait donner une importance particulière à ces travaux de la Commission française, c’était de jeter les bases de ce qu’on peut nommer les études américaines ; c’était de marquer le point de départ des études comparées de linguistique, d’ethnographie et d’archéologie du continent américain, en rejetant à tout jamais dans les guenilles de la vieille école la marche surannée des hypothèses gratuites, des suppositions sans base et sans critique, qui ont enfanté tant de systèmes absurdes ; en appliquant, en un mot, à cette étude nouvelle la forte méthode qui a créé depuis trente ans en Europe la science nouvelle de la philologie comparée, et qui en a tiré de si grands résultats. Encore une fois, le germe est posé ; et quels que soient ceux à qui il appartiendra d’en poursuivre la culture, il est impossible désormais qu’un peu plus tôt ou plus tard, d’une main plus hésitante ou plus ferme, la vraie méthode, la méthode critique, ne dirige pas exclusivement dans la voie d’investigation nouvelle, la seule qui puisse jeter quelque lumière sur les origines américaines, puisque l’expression est consacrée.


IX

S’il nous était permis de nous arrêter aux livres qui ajoutent seulement quelques notions intéressantes et des parties déjà connues, sans étendre positivement le cercle des découvertes, nous en trouverions quelques-uns à signaler. Il en est un que nous ne pouvons passer sous silence. Il a pour titre Bibliotheca Americana vetustissima, et pour auteur (quoiqu’il ne se nomme pas sur le titre) M. Henri Harrisse, un américain de New-York, avocat à la cour suprême, je crois. Ce n’est qu’une bibliographie, mais une bibliographie singulièrement recommandable pour le fond et les recherches, et peut-être sans antécédents quant à l’exécution matérielle. L’auteur y fait le recensement des livres publiés sur l’Amérique durant les cinquante-sept ans qui se sont écoulés depuis le premier voyage de Colomb jusqu’à l’année 1550 ; et ce recensement, tel que M. Harrisse l’a conçu, est une véritable histoire géographique de cette période immortelle, qui vit se reculer tout à la fois les bornes du monde, les limites de la science et celles de l’intelligence humaine. M. Harrisse était bien placé pour un tel travail ; car on sait avec quelle passion les Américains en général, et quelques riches amateurs en particulier, recherchent à tout prix, depuis une quinzaine d’années, tous les vieux livres, les relations anciennes, les plaquettes introuvables, en un mot toutes les raretés bibliographiques qui de près ou de loin touchent au nouveau monde, et on n’ignore pas quelles collections uniques se sont ainsi formées de l’autre côté de l’Atlantique. M. Harrisse ne s’est même pas contenté de ces inappréciables ressources : il a parcouru l’Europe et en a exploré les bibliothèques publiques et privées réputées les plus riches en documents américains. Muni de ces matériaux, M. Harrisse s’est mis à l’œuvre ; mais son mérite particulier est dans le parti qu’il en a tiré, dans la disposition qu’il leur a donnée. Aux indications bibliographiques les plus minutieuses et les plus exactes que puisse désirer un disciple fervent des de Bure et des Brunet (il ne faut pas

  1. Une année de voyage dans l’Arabie centrale (1862-63) ; traduit de l’anglais par Émile Jonveaux. 1866, 2 volumes (Hachette).