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traités sur l’art médical, et de nouveaux instruments de musique.

Ce furent, aux yeux des Japonais, les trophées les plus précieux de sa glorieuse expédition.

Leur admiration pour les arts et les lettres du Céleste-Empire n’alla pas toutefois jusqu’à les pénétrer d’estime pour le peuple chinois lui-même. On continua de lui demander des maîtres de langue, de musique, de morale et de philosophie ; mais on fit à ceux-ci une position analogue à celle des sophistes grecs au sein de la société romaine : le caractère studieux, pacifique et mercantile des hommes de Nankin ne cessa d’être un sujet de mépris pour les chevaleresques insulaires du grand Nippon.

Aussi la littérature japonaise, tout en se développant sous l’influence de modèles chinois, sut-elle conserver une certaine originalité. Seulement, emprisonnée à la cour dans les formes d’un monde conventionnel elle dut y tourner sans cesse dans le cercle des sujets à la mode, et faire consister la perfection du style dans la stricte observation des règles académiques. On composa des distiques sentencieux taillés comme des arbres nains ; on fit entrer la description de la mer dans le cadre d’un sonnet.

Le burin japonais nous a transmis les traits des écrivains qui excellèrent dans ce genre d’exercices. Leur image est toujours accompagnée du sujet de leur chef-d’œuvre poétique.

Le chantre de la mer est invariablement représenté accroupi sur la plage ; tel autre est plongé dans la contemplation d’une touffe d’iris ; celui-ci a pour attribut un pêcher en fleurs ; il y a les poëtes du riz, du papillon, de l’érable, de la grue, de la lune, des coquillages.

Nous rencontrons aussi Trissotin et Vadius ; mais, à Kioto, ils passent des provocations aux voies de fait, sans autre arme, heureusement, qu’un moelleux coussin de soie (voy. p. 64).

Femme poëte. — Dessin de Staal d’après une vignette japonaise.

On montre des lieux célèbres dans les fastes de la poésie japonaise : tel est le mont Kamo, où Tsjoo-meï a composé son livre d’odes en rêvant sur les bords du torrent des cigales ; ailleurs c’est un couvent, qui a servi de refuge à un prince égaré pendant une nuit d’orage : le lendemain, à son départ, il remit entre les mains du prieur une pièce de poésie inspirée par la circonstance ; ce gracieux tribut a fait la fortune du monastère.

Les Chinois ne demeurèrent pas insensibles aux progrès que faisaient leurs élèves dans le goût des lettres et l’élégance des mœurs. En témoignage de sa haute satisfaction, le Fils du Ciel envoya une ambassade au mikado sans autre mission que celle de lui faire hommage d’un recueil de poésie (an 815 après J. C.).

La culture de l’art poétique fut poussée jusqu’à l’héroïsme par une noble demoiselle de la cour de Kioto.

La belle Onono-Komatch est généralement représentée à genoux devant un bassin à laver les mains, au-dessus duquel elle efface, à grande eau, ce qu’elle vient d’écrire. Tel était son amour de la perfection du style, qu’elle ne connut pas d’autre passion.

Admirée pour son talent, mais en butte à la jalousie et livrée sans défense au ressentiment des fats dont elle avait repoussé les avances, elle tomba en disgrâce et descendit jusqu’aux derniers échelons de la misère.

Pendant de longues années l’on vit errer de village en village, dans les campagnes du Nippon, une femme toujours solitaire, marchant pieds nus, appuyée sur un bâton de pèlerin, et portant à la main gauche un panier où des rouleaux manuscrits recouvraient quelques maigres provisions de bouche. Des touffes de cheveux blancs s’échappaient du large chapeau de paille qui abritait sa figure maigre et ridée. Lorsque cette pauvre vieille