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huit, puis une troisième survint qui en apportait vingt-quatre[1]. En un instant, je fus entouré de mères de famille qui me criaient dans l’idiome des Quechuas, vulgarisé chez leurs aïeux par les Missionnaires[2] : « Iscayta[3] apamouy runtuta coscayiki — Donne-moi des aiguilles, je te donnerai des œufs. » — Cette phrase modulée par le contralto des matrones, était accompagnée par le soprano des fillettes ; je me bouchai les oreilles et m’enfuis vers l’embarcation ; mais les femmes coururent après moi et me rejoignirent : comme elles s’accrochaient à mes vêtements, dans la crainte que ceux-ci, aux trois quarts usés, ne leur restassent entre les mains, je me hâtai d’ouvrir la boîte aux aiguilles et d’en échanger à la ronde contre les œufs qui m’arrivaient de tous côtés. Quand ce fut fait, le plancher de ma montaria ressemblait à l’éventaire d’une coquetière de la balle. Il y avait là pour huit jours d’omelettes.


Indien Omagua (Umaüa) à tête mitrée.

Le surlendemain de notre départ de Jurupari-tapera, nous débarquions sur la rive droite du fleuve, au pied de la colline sur laquelle est assise la bourgade de São Pablo de Olivença. Cette colline haute de deux cents pieds, formée de trois étages en recul qu’on gravit à l’aide d’escaliers taillés à coups de bêche, est couronnée par un vaste plateau, qu’à l’herbe rase et jaunie dont il est revêtu, on prendrait pour le tapis d’une Puna des Andes ; de cette hauteur, l’Amazone, couleuvre im-

  1. Les castes indiennes que nous avons vues dans la Plaine du Sacrement comme la plupart de celles qui vivent au pied des Andes Orientales et n’ont avec les points civilisés que des relations passagères, ces castes élèvent des poules pour leur seul plaisir et comme oiseaux de luxe, mais n’en mangent ni la chair ni les œufs, qu’elles croient susceptibles de déterminer chez elles des maladies cutanées et des épidémies.
  2. Nous croyons avoir dit dans notre revue du village de Nauta et à propos des Cocamas, ses habitants, que ces Indiens avaient vécu précédemment dans les Missions du Haut et du Bas-Huallaga, où dès le commencement du dix-septième siècle, les Jésuites Équatoriens les avaient réunis.
  3. Du temps des Incas, les aiguilles de métal étaient inconnues aux peuplades de la Sierra qui y suppléaient par les longues épines du cactus quisco.

    De là, dans l’idiome quechua, le nom de Iscay (épine) par lequel on désigne encore aujourd’hui les aiguilles à coudre ou à repriser importées d’Europe.