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apportent au Creusot le minerai de fer du Charollais, de la Nièvre, du Berry. La pierre est en paillettes jaunes, ou en grains arrondis qu’on prendrait pour des pois fossiles. C’est aussi la houille de la Nièvre ou de la Loire qu’amène la voie d’eau. Au retour on charge le fer en rails ou en barres, et dans ce mouvement incessant s’alimente notre navigation intérieure, non moins digne d’intérêt que la navigation maritime.

Laissons le port et ses mariniers vigoureux, et rentrons à Montchanin. Sur un large boulevard se dresse une double rangée de maisons : c’est la ville. À l’une des extrémités est une mine de charbon, dont les édifices se mêlent à ceux de la cité. Quelques-uns des puits, vieux serviteurs qui ont fait leur temps, ruinés, abandonnés, présentent au milieu du paysage un tableau qui ne manque pas de caractère.

L’exploitation de la houille, non moins que le travail des champs, a concouru au développement et au bien-être du pays. Cependant on ne saurait nier que le voisinage de la houillère n’ait été quelque peu nuisible à la campagne. Çà et là, le sol s’est affaissé par grandes places. Des fissures, des tassements énormes se sont produits. C’est le résultat du travail souterrain, des vides gigantesques provenant de l’excavation de la houille, surtout à l’époque où la méthode des éboulements n’avait pas encore été remplacée par celle des remblais.

La houille exploitée à Montchanin forme des amas énormes ; elle est de qualité moyenne, et se réduit facilement en menu. Quels cataclysmes, quels soulèvements ont accompagné le dépôt de ce charbon fossile pour donner à son gisement des formes aussi anormales ?

Ou a pénétré par des galeries et des puits au cœur de ces amas ; la noire forêt de pierre a été découpée en piliers préparés pour l’abatage, de même façon qu’on aménage une forêt végétale pour la coupe des taillis. Ici seulement la forêt ne repousse plus ; le charbon ne se reproduit pas comme le bois.

Sur le plan, le détail de ces travaux préliminaires, de ces galeries qui se coupent à angle droit, de ces pâtés de remblais, rappelle les rues et les îles de maisons. L’analogie peut aller plus loin : une mine n’est-elle pas une ville souterraine ?

Les ouvriers de la houillère de Montchanin sont frères de ceux que nous connaissons déjà : soldats courageux, affrontant en face les ennemis de l’abîme, allant tous au combat sans se plaindre, piqueurs, boiseurs, mineurs au rocher, et tous obéissant sans murmure aux ordres de leur brave capitaine, le modeste et savant M. Poizat, ingénieur en chef de la mine.

Une partie du combustible extrait est expédiée au Creusot ; l’autre portion est mêlée à du brai anglais, et moulée mécaniquement en briquettes. Sur place le combustible est employé à la cuisson de la chaux et surtout des briques. Le gérant de ces mines, M. Ch. Avril, a eu l’heureuse idée d’exploiter l’argile du pays en même temps que la houille, et avec un combustible qui n’est pas de première qualité, mais une argile douée de propriétés exceptionnelles, il a monté une belle tuilerie. La terre qu’il met en usage peut faire concurrence aux terres les plus renommées de Bourgogne. La Bourgogne d’ailleurs n’est pas loin, et géologiquement nous y sommes encore. De cette usine sortent des tuiles plates à crochet, légères, de couleur rouge tendre, de tous les modèles, et toujours du plus heureux effet. M. Avril a deviné ce que peu de fabricants savent encore comprendre, c’est qu’il fallait unir l’agrément et en même temps la simplicité de la forme, aux exigences architecturales. On peut prédire à ces produits une réussite de plus en plus grande, et déjà les suivre par la pensée sur les toits des gracieuses habitations des tropiques, à Cuba, à l’île Bourbon, à l’île Maurice, pays fortunés ou le bois a jusqu’ici remplacé volontiers la tuile.

Il nous faut visiter l’usine de Montchanin. Sa bonne distribution, le mouvement cadencé des appareils réglé automatiquement, c’est-à-dire par des machines, l’ordre, la propreté qui règnent dans tous les ateliers, laissent une impression agréable. Là travaillent presque partout des femmes, ce qui ne gâte rien à la vue.

Les tuiles plates à crochet dont nous avons déjà parlé, les tuiles faîtières, les briques creuses, qui ont apporté tant d’économie et tant d’avantages dans les constructions, les carreaux taillés en polygone, lustrés, polis comme à la cire, tels sont les principaux produits de la tuilerie de Montchanin, qui livre chaque année plusieurs millions de pièces à ses fidèles clients.

Le directeur de cette belle usine, non content d’exploiter la houille et l’argile, exploite aussi la terre, j’entends la terre arable. Vrai gentilhomme campagnard, il a bâti une gracieuse villa toujours ouverte aux visiteurs, et autour de son habitation a défriché, planté, cultivé le sol sur une vaste étendue d’hectares. L’élève du bétail préoccupe aussi ce fidèle disciple des Géorgiques. Réussissant dans toutes ces industries, goûtant de plus les joies de la famille, il mène une vie bien remplie, et cueille loin du bruit chaque jour que Dieu lui donne, carpe diem, comme dit Horace.

Voilà que je me mets à discourir et presque à philosopher ; mais je reprends bien vite le pic, à chacun sa besogne, suum cuique, puisque je suis en train de parler latin.

Quand on examine sur la carte la situation relative du terrain houiller de Montchanin et de celui du Creusot, on remarque qu’entre ces deux mines, et sur une longueur de près de six kilomètres, le bassin carbonifère est recouvert par des grès bigarrés, roches grenues, sableuses, ainsi nommées par les géologues à cause de l’irisation de leurs couleurs, qui passent souvent sur le même point, du rouge au vert et au jaune.

Au Creusot, la couche affleure au flanc nord de la vallée dans laquelle est bâtie l’usine. Elle s’enfonce sous le sol vivement, presque d’aplomb. À deux cent quarante mètres de profondeur, elle se moule sur le terrain