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charbon fossile sous le nom de lithanthrax : (charbon de pierre), que les Italiens ont conservé à la houille dans l’expression de litantrace. Quelques forgerons employaient le charbon minéral à défaut de bois ; quelques industriels, quelques fondeurs en usaient également, surtout pour fondre le bronze ; mais on n’en faisait pas une grande consommation.

Chez les Romains, l’extraction est plus restreinte encore. Dans les Gaules, à plusieurs reprises, les grands ingénieurs de Rome, dans leurs travaux hydrauliques, traversent des bassins houillers. Dans la Provence, en creusant le canal de Fréjus, ils recoupent le terrain carbonifère de l’Esterel ; dans la Loire, en ouvrant l’aqueduc qui doit conduire à Lyon les eaux du Gier, ils trouvent de même des gisements de charbon. Mais les Romains ne s’en occupent nullement, ils ont le bois ; la houille, pour eux, est sans aucune valeur : c’est une pierre plus ou moins charbonneuse et bitumineuse, voilà tout.

Au moyen âge, on a pour le combustible fossile le même dédain que du temps des Grecs et des Romains. Dans les villes on le proscrit. Sous Henri II, en France, les maréchaux ferrants qui emploient à Paris du charbon de terre sont condamnés à l’amende ou à la prison. À Londres, il en est de même : défense d’employer du combustible fossile dans l’enceinte de la ville. On brûle du bois, mais du charbon de terre on ne veut à aucun prix.

Arrivons au dix-huitième siècle. Les choses changent. Déjà on apporte du charbon de terre à Paris. Le bois y coûtait très-cher comme aujourd’hui, et l’on cherchait des moyens économiques de chauffage. Des bateaux descendent la Seine jusqu’au port Saint-Paul, aujourd’hui quai de l’École, et apportent aux Parisiens le combustible minéral. Les Académies de médecine et des sciences sont consultées, et donnent, chose qui n’arrive pas toujours, un avis favorable au nouveau venu. Néanmoins le public repousse encore le charbon : on l’accuse de mille défauts imaginaires ; on prétend qu’il vicie l’air, qu’il jaunit le linge dans les armoires, qu’il provoque des maladies de poitrine, et surtout, crime impardonnable, qu’il altère la fraîcheur des visages féminins.

Un siècle après, quels faits peut-on constater à Londres comme à Paris ? À Londres, on consomme aujourd’hui six milliards de kilogrammes par an de combustible minéral ; à Paris, un milliard. Le combustible fossile a conquis partout sa place, il est partout accepté.


Coupe transversale du terrain houiller du Montceau par le puits Sainte-Marie. — Dressée par L. Simonin et Ed. Dumas-Vorzet d’après les plans actuels de la mine.

Que s’était-il donc passé en Angleterre au dix-huitième siècle ? Il s’était produit les deux plus grands phénomènes économiques que jamais peut-être les sociétés aient vus : l’invention de la machine à vapeur et l’invention des chemins de fer. C’est ici qu’éclate véritablement le rôle social du combustible fossile, et c’est ici que commence la véritable histoire du charbon, histoire que l’on peut raconter en peu de mots, et d’après laquelle on comprendra de suite le rôle glorieux en quelque sorte que remplit aujourd’hui le combustible minéral.

D’abord la houille a donné naissance à la machine à vapeur.

Il y avait, au commencement du dix-huitième siècle, dans le pays de Galles et dans le comté de Newcastle, des houillères assez largement exploitées. Ces houillères sont inondées, les pompes ne peuvent en extraire les eaux, quelle que soit la force qu’on emploie ; les galeries sont descendues à deux cents, à trois cents mètres de profondeur ; comment épuiser les eaux ? C’est alors que trois ouvriers, Savery, Newcomen et Watt, se présentent successivement, et imaginent la pompe à feu, la machine à vapeur. D’abord la vapeur d’eau, par sa tension, pèsera sur le liquide et le fera monter ; puis successivement, par des perfectionnements apportés à la machine, la vapeur d’eau agira sur un piston qu’elle fera mouvoir comme un piston de pompe ; la tige de ce piston sera attachée à celle de la pompe à eau, et l’eau sera extraite des mines.

Voilà comment la machine à vapeur a été découverte. On a cité des noms d’inventeurs remontant jusqu’à l’école d’Alexandrie, par exemple Héron, qui a trouvé l’éolipyle ; on a cité Papin. Mais l’éolipyle n’est qu’un appareil de physique amusante, et Papin n’a réellement mis en œuvre que le digesteur qui porte son nom, et qui n’est qu’une espèce de marmite où l’eau surchauffée dissout la gélatine des os. Il n’y a, en tout cela, rien à démêler avec la force motrice de la vapeur. Les véritables inventeurs de la machine à vapeur, de la pompe à feu, — nous avons regret de le dire, parce que ce sont des noms étrangers, mais il faut rendre à César ce qui appartient à César, — ce sont les trois Anglais que nous citions tout à l’heure : Savery, Newcomen et Watt.

Le jour ou la machine à vapeur a été trouvée, l’esprit humain a fait un pas immense vers son émancipation. La machine à vapeur a remplacé le travail de l’esclave.