Page:Le Tour du monde - 15.djvu/211

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Les chapelles affectent les mêmes proportions que le reste ; elles ont les dimensions de belles églises ordinaires. Les sacristains me proposent de faire l’ascension de la coupole : ceci sort des cérémonies de la semaine sainte, je refuse ; je parcours encore une fois la grande basilique, sculptée, dorée, couverte de peintures et de mosaïques ; malgré des défauts inhérents, les uns aux projets primitifs, les autres aux additions et remaniements successifs, on aurait mauvaise grâce à ne pas considérer Saint-Pierre comme un des plus superbes échantillons de la puissance architecturale de l’homme. Au moment où je faisais cette réflexion, un cortége modeste entrait sans bruit dans la nef ; le pape venait, selon son habitude, faire à Saint-Pierre ses dévotions des vendredis de carême.

Près de la Confession de Saint-Pierre (la Confession est le souterrain, la chapelle-crypte entourée d’une balustrade, adossée à l’autel et où est enterré saint Pierre), il y a toujours un prie-dieu ; le vendredi, un sacristain vient le recouvrir de velours rouge, et apporte des coussins ; pendant ce temps, sur une séparation couverte de tapisseries et qui forme deux longues files de siéges, les cardinaux sont venus s’asseoir en attendant le saint père ; ils sont accompagnés de leurs caudataires et de leurs domestiques qui portent les coussins sur lesquels ils doivent s’agenouiller. Le pape est vêtu de blanc et porte la petite pèlerine ronde de couleur rouge garnie d’hermine ou de cygne : il s’agenouille ; les Suisses forment une ligne de factionnaires pour éloigner un peu les curieux dont l’indiscrétion est comme Guzman, elle ne connaît pas d’obstacles, pas même celui des convenances ; près le pape se tient un clerc avec un flambeau allumé, symbole de la foi, et ce flambeau suit le pape partout où il doit lire une prière ; en se relevant, le pape donne sa bénédiction, et se retire doucement comme il est venu. Il y avait peu de monde ; ce n’est pas là une des cérémonies renommées et considérées comme faisant partie de la semaine sainte ; or, le voyageur, confiant dans la tradition, ne va que là où vont tous les autres.

Près le prie-dieu du pape, à droite, est le saint Pierre de bronze, objet de vénération pour les pèlerins catholiques. Cette statue, dont les dimensions sont un peu grêles pour la grandeur du vaisseau de Saint-Pierre, a donné lieu à de longues discussions ; les catholiques fervents la considèrent comme une statue de saint Pierre authentique ; quelques antiquaires, qui ne discutent qu’au point de vue de l’art, prétendent que c’est un Jupiter auquel on a ajouté une auréole et dont on a remplacé la foudre par une clef ; en tout cas, ce n’est pas une statue di primo cartello, comme on dit en Italie, et elle doit avoir été fondue postérieurement à Jésus-Christ. — La foi est restée étrangère à ces discussions entre catholiques et archéologues ; grands et petits viennent baiser l’orteil de la statue, et cet orteil, usé sous les baisers des dévots, est largement diminué ; son galbe fruste et arrondi a perdu sa patine verte et est devenu d’un jaune brillant, avivé chaque jour par la manche des paysans qui le frottent avant d’y appliquer leurs lèvres.

Il me restait encore à me reconnaître au sujet des corridors, cours, escaliers, portes du Vatican, afin de savoir, la semaine qui vient, me diriger rapidement au milieu de la foule. Saint-Pierre et la Sixtine sont les deux points extrêmes et c’est le réseau de communication qui les réunit qu’il faut absolument avoir examiné. On ne peut s’imaginer quel temps on gagne, de quels avantages on profite, en connaissant bien d’avance la direction que l’on doit prendre au milieu d’une foule généralement hésitante.

J’étais arrivé à Saint-Pierre par le pont Saint-Ange, j’en partis par le Transtévère afin de connaître cette route que l’on est obligé de prendre après les cérémonies, lors de l’encombrement des voitures ; la Via Lungara qui longe le Tibre, est large, aérée ; elle conduit en ligne droite à Santa-Maria de Transtévère, change de nom en inclinant à gauche et aboutit alors au Ponte Rotto. Je désirais aller visiter Saint-Étienne le Rond, église curieuse, d’ordinaire abandonnée, et où, aujourd’hui vendredi, il y avait quelques cérémonies du culte.

Le Ponte Rotto débouche près la place della Bocca Verita ; par la rue dei Cerchi, qui traverse en long l’ancien grand cirque des Empereurs, on arrive à Saint-Grégoire ; tout ce quartier est un coin précieux, où les ruines, la verdure, les horizons, la lumière, se donnent rendez-vous pour charmer les yeux ; mais à cette époque de l’année, pressé par les cérémonies religieuses, se rencontre-t-il un voyageur qui ait des yeux pour ces merveilles ! Une ruelle étroite, pittoresque, passant au travers d’antiques contre-forts, aux pieds de Saint-Grégoire et de Saint-George et Paul, conduit à Saint-Étienne le Rond. C’est une singulière église ; son abord est difficile ; il faut traverser deux cours et un corridor ; alors, on se trouve dans une salle ronde (comme l’indique son nom), vaste, à toit plat soutenu par des colonnes de hauteurs, de couleurs, et de matières différentes ; on croyait d’abord que c’était un ancien temple païen, mais on a reconnu que c’était une assez médiocre construction du temps de Constantin, faite avec des débris pris de côté et d’autre. Au milieu est le siége de marbre sur lequel s’est assis saint Grégoire. Mais cette église, à laquelle la proximité des jours saints donne une importance plus grande que d’ordinaire, est surtout visitée pour ses peintures.

Le diamètre de cette rotonde étant d’environ cinquante mètres, la circonférence donne un minimum de cent cinquante mètres de développement ; les fenêtres sont prises dans la partie haute ; il y a, ce me semble, seulement deux portes et l’entrée d’une chapelle ; la surface ainsi restée libre a été partagée en tableaux juxta-posés ; il y a là soixante-dix à quatre-vingts panneaux dont les personnages sont de grandeur naturelle sur les premiers plans ; des groupes secondaires, étagés aux autres plans, remplissent la composition ; or, tous ces tableaux, tous ces groupes, représentent les supplices infligés aux premiers chrétiens par leurs persécu-