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les voitures trop nombreuses, qui vont vite dans les rues généralement sans trottoirs et qui menacent de vous défoncer l’estomac le long des murailles, puis les mendiants, qui vous pourchassent dans les recoins où les roues ne peuvent plus vous atteindre. Toute la mendicité de l’Italie centrale semble être réunie ici ; toutes les infirmités y sont représentées ; c’est un cauchemar de la cour des miracles qui ne se dissipera que lorsque l’étranger s’en ira ; le mendiant part avec le voyageur, vient avec le voyageur, comme l’hirondelle avec le beau temps ; c’est une moisson toute prête qu’il vient cueillir. Il y a au reste, en temps ordinaire, à Rome, des physionomies curieuses et célèbres de mendiants ; quelques-uns ont eu les honneurs de la gravure, et leurs portraits se vendent fort cher chez les marchands de la place d’Espagne, parfois gravés sur cuivre, comme des tableaux de maître, et très-finement dessinés.


DIMANCHE DES RAMEAUX.


Édifices pavoisés. — Saint-Pierre. — Cortége. — Distribution des palmes. — Procession. — Suisses. — Grand pénitencier ordinaire au Latran. — La Sainte-Croix de Jérusalem et les clous de la croix. — Sainte-Praxède et la colonne de flagellation.

Les Rameaux sont la première cérémonie importante de la semaine sainte ; du moins, on la considère comme telle, bien que ce jour termine le carême plutôt qu’il ne commence les jours saints. Je n’ai pas besoin de rappeler que la fête des Rameaux prit son origine dans les premiers temps du christianisme et qu’elle est destinée à rappeler le triomphe de Jésus-Christ, lorsqu’il entra à Jérusalem, escorté par la population qui portait en main des branches arrachées aux arbres de la route. Jusqu’en 1839, la cérémonie des Rameaux n’avait pas lieu à Saint-Pierre ; ce fut le pape Grégoire XVI qui, voulant la rendre accessible à plus de voyageurs, ordonna que la messe des Rameaux se célébrerait dans la basilique. Cette cérémonie de la Sixtine était moins grande comme cadre, mais peut-être plus imposante que celle de Saint-Pierre, s’il faut en croire les récits nombreux des personnes qui s’y sont trouvées à cette époque ; le luxe y était plus intime et mieux proportionné avec l’enveloppe de l’édifice.

Dès sept heures du matin, j’étais en route pour Saint-Pierre, dans une voiture que j’avais prise simplement sur la place d’Espagne après avoir prudemment fait mon prix avec le cocher ; le pont m’était ouvert, car à l’heure matinale où je passai, les gros bonnets romains ou étrangers, à places retenues, à équipages à livrées, n’avaient pas encore besoin de se déranger pour venir. Les bannières pontificales étaient développées sur le château Saint-Ange ; la grosse masse de son donjon, qui recèle des cours énormes dont on ne peut soupçonner l’existence en regardant du dehors, fermait pittoresquement le pont, sur lequel les statues du Bernin, bien que mauvaises, font cependant bon effet. Quant au fort lui-même, dont la masse semble d’abord se refuser à produire toute impression agréable, sa forme trapue est sauvée par les lignes qui l’entourent, par l’eau et la verdure qui baignent son côté droit, par le massif carré qui le complète dans le haut, par sa loggia, et surtout par le génie ailé qui le surmonte et se découpe sur le ciel.

Tout autour de la Confession était le public ; dans les transepts droit et gauche, à peu près à l’alignement de la nef, sont construites de vastes tribunes ; c’est dans ces tribunes que les dames, munies de billets d’ambassade, vont se placer ; le nombre des demandes étant toujours de beaucoup supérieur au nombre des places, il s’ensuit que les premières arrivées sont dans les tribunes, et que les autres dames, fort empêchées, se placent en bas, restent debout comme les hommes et derrière eux ; c’est d’un effet peu gracieux ; les dames, toujours plus petites que les hommes, ne voient absolument rien et ne gagnent à la cérémonie que d’affreuses bourrades. Je me suis félicité de ne pas appartenir à la plus belle moitié du genre humain, car au moins, je pus bouger, choisir ma place, examiner ce qui se passait, voir le service de l’autel, et regarder les personnages officiels qui allaient prendre place dans les boîtes de bois destinées à les renfermer, dûment alignés, dans le chevet de la basilique. Il y a toujours, dans les foules, des gens qui posent pour des personnages bien informés et qui veulent affecter de connaître des célébrités politiques qu’ils n’ont jamais aperçues ; dès qu’un dignitaire, plaqué de rubans, de croix, apparaissait, vite, ces personnes bien au courant accolaient un nom célèbre sur sa figure et l’on était étonné que personne ne fût d’accord sur l’identité dudit individu célèbre qui bientôt se trouvait tiré à plusieurs exemplaires pour l’ébahissement de la foule. Les Suisses avaient fort à faire pour ouvrir un passage au travers des assistants aux dignitaires qui voulaient gagner les places réservées dans le chevet.

Voici comment, dans toutes ces cérémonies, est disposé Saint-Pierre : au fond est le trône du pape ; à droite et à gauche, sont les bancs des cardinaux ; derrière et à la suite, les tribunes pour le corps diplomatique et les princes romains ; au niveau des marches de granit rouge qui ferment la tribune, sont des tentures qui abritent le dais du pape et cachent les charpentes nécessaires ; la décoration était violette, comme il est de règle aujourd’hui, mais ces tentures, trop fréquentes à Rome dans toutes les cérémonies, sont fort disgracieuses ; les murailles de Saint-Pierre, malgré la nudité qu’on peut leur reprocher, feraient encore meilleur effet que toutes ces soieries accrochées sur des planches et des poutres qu’on aperçoit toujours par quelque bout. Près l’autel et au fond, de chaque côté du trône du pape, sont les faisceaux des palmes destinées à être bénites et distribuées.

Vers dix heures, un roulement de tambour sous le vestibule annonça l’arrivée du pape ; la grande porte s’ouvrit, et le cortége apparut dans le lointain ; il s’arrêta d’abord à la chapelle de la Pieta où le pape fit ses dévotions, puis il s’avança silencieusement vers l’autel. Je dis silencieusement, car dans le grand vaisseau de Saint-Pierre, les chœurs de la chapelle papale qui chantent seuls, font peu de bruit, et sont parfois couverts par le