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soulever sa couronne de statues pour leur faire regarder les montagnes de la Sabine.

La petite église « Domine, quò vadis », est située près ce point de vue, juste au carrefour de la voie Appienne et de l’ancienne voie Ardéatine. C’est une construction ordinaire et sans prétention. Des plâtres colorés retracent des scènes de la Passion ; dans le sol est incrustée une pierre portant en creux l’empreinte des pieds de Jésus-Christ, ou du moins une copie de la véritable empreinte qui est à Saint-Sébastien. Une plaque de marbre relate le miracle qui a donné lieu à la construction de cette petite chapelle. Lorsque saint Pierre se fut échappé, par l’intervention miraculeuse d’un ange, de la prison où il était retenu, il s’arrêta pour se reposer le long de la voie Appienne ; Jésus-Christ lui apparut.

« Maître, où vas-tu ? » lui demanda saint Pierre.

« Je vais à Rome, répondit Jésus, afin de subir le martyre une seconde fois. »

Saint Pierre, qui fuyait, comprit la leçon ; il rentra dans Rome et ne survécut que peu de temps. À la place même où s’était arrêté Jésus-Christ, ses deux pieds s’imprimèrent sur la pierre ; et ce fut une portion du sol, où était l’empreinte, que l’on enleva et qui fut transportée à Saint-Sébastien ; la copie a été placée à la même place et est entourée d’une grille.

À partir de l’église « Domine, quò vadis », la voie Appienne se dirige droit vers la montagne ; on la voit dans le lointain, semblable à un mince ruban blanchâtre, gravir comme un trait les collines d’Albano.

Saint-Sébastien apparaît à ma droite, au fond d’un terre-plein en contrebas de la route. Des cyprès assez beaux entourent la façade ; l’aspect en est triste ; le sol est noirâtre, l’air y semble froid ; c’est, je crois, la Basilique la moins belle de Rome. L’intérieur est très-simple.

Le sacristain tira un rideau qui masquait, sur la droite, une grande armoire vitrée ; il me dit que là étaient rassemblées soixante-quatorze mille reliques. Mais les plus importantes étaient celles de Saint-Sébastien, c’est-à-dire la colonne où il fut attaché et deux des flèches qui le transpercèrent, — puis l’empreinte enlevée de l’église « Domine, quò vadis ». Elle est très-légèrement marquée dans une pierre tufeuse et verdâtre.

Lorsque le sacristain eut tiré le rideau sur l’armoire, il me proposa une visite dans les catacombes ; c’était ce que je désirais, bien que cette promenade sous terre ne me plût que médiocrement ; il arrive, dit-on, parfois des accidents dans les couloirs, et je n’aurais pas aimé rester, ne fût-ce que quelques heures, enfoui dans un souterrain de pouzzolane ou de péperin. J’ai toujours souvenance d’un récit appris au collége, et tiré d’un recueil de littérature, où un visiteur des catacombes perd la corde, la lumière, et surtout la tête ; ce morceau m’impressionnait vivement quand j’étais petit, et je n’aurais pas voulu voir par moi-même si l’expression de ces sentiments sous terre était exacte. Cependant je me décidai ; le sacristain me donna de petites bougies destinées spécialement aux catacombes ; je lui en fis distribuer quelques-unes à des soldats qui attendaient là une occasion de voir les catacombes sans rien débourser, et je descendis ainsi en force dans les caveaux.

Les catacombes, dans certaines parties desquelles on va, ces jours saints, faire des stations, ont donné lieu à de nombreuses discussions. Comment ont-elles été creusées ? à quelle époque ? par qui ? N’ont-elles servi qu’à des chrétiens ? n’ont-elles été creusées que par eux ? En quel temps ont commencé les premiers ensevelissements ? quand les derniers se sont-ils terminés ? Autant de points longtemps examinés, trop difficiles à exposer ici, et qui sont surtout devenus malaisés à bien déterminer par suite du grand nombre de galeries qu’on a découvertes autour de Rome.

L’aspect est irrégulier ; les galeries sont ici très-basses, là plus hautes ; assez étroites toujours, avec des excavations latérales et superposées, afin d’y placer les morts ; elles sont creusées dans un tuf verdâtre, résistant par places, se délitant en poussière dans d’autres. Les galeries aboutissent d’ordinaire à des rotondes plus vastes où sont des autels et où se célébraient les mystères de la religion. Des cierges brûlaient aujourd’hui devant un autel dédié à saint Maximin. Je parcourus un petit nombre de ces galeries qui, m’assura le sacristain, se prolongeaient jusqu’à la mer ; je me déterminai à le croire sur parole. Au reste, la partie intéressante des catacombes est surtout celle dite de Sainte-Calixte, près Saint-Sébastien ; là sont les plus grandes chapelles chrétiennes, et les peintures sacrées les plus curieuses. Mais l’entrée n’est permise qu’à certains jours de la semaine et à certaines heures, car l’on y travaille continuellement.

Je rentrai dans Rome ; il me restait à visiter les reliques conservées à Sainte-Bibiane. Je gagnai la porte Majeure (à l’autre bout de la Rome déserte) en passant par Saint-Étienne le Rond, Saint-Jean de Latran ; chemin fort peu direct, mais que l’absence de rues et la présence d’énormes cultures dans la ville même rendent inévitable. Sainte-Bibiane, située dans un quartier complétement inhabité, entre Sainte-Croix de Jérusalem, la porte Majeure et les Trophées de Marius, est une petite église bien modeste, perdue au milieu des vignes. Au-dessus des murs qui bordent les ruelles, surgit parfois la tête d’un paysan aux aguets, comme en tous pays, tout en cultivant sa terre ; parfois il coupe les roseaux romains, sorte de cannes, de rotins, qui jouent à Rome un rôle analogue à celui du bambou en Chine. Cette plante, qui appartient, je crois, à la famille des graminées, fournit aux Romains des tuteurs pour leurs arbustes, des clôtures pour leurs champs, des toitures pour leurs cabanes, du fourrage vert et sec pour les bêtes, et surtout un combustible abondant, à bon marché, et qui prend feu rapidement.

La porte de Sainte-Bibiane était fermée ; je me retirais assez contrarié du long détour que je venais de faire inutilement, lorsque, dans le lointain, je vis s’avancer un grand tricorne plat surmontant un tout petit homme noir qui courait en agitant les bras ; c’était le sacristain qui