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avait été en ville chercher, me raconta-t-il, un habit qui lui était nécessaire ; il se confondit en excuses et m’introduisit dans la petite église en forme de basilique. Des colonnes très-simples, en granit, soutiennent l’entablement couvert, par P. de Cortone, de fresques relatives à l’érection du monument. À droite est une petite chapelle, où dans deux armoires vitrées, placées de chaque côté de l’autel, et sous l’autel, dans une boîte longue fermée d’une glace, sont déposées les reliques provenant de plus de onze mille martyrs. Dans un coin est la colonne à laquelle sainte Bibiane fut attachée pour être lacérée à coups de fouets plombés ; sur l’autel est la statue de la sainte par le Bernin. Cette œuvre procède du même système que la sainte Thérése qui est à Sainte-Marie de la Victoire ; figure charmante, draperies admirablement fouillées ; sculpture en somme très-élégante, mais d’où le sentiment religieux est trop absent. Je récompensai d’un paul la course empressée du petit sacristain, et je regagnai doucement mon domicile en passant par Sainte-Marie Majeure ; j’étais trop fatigué pour aller encore à Trinité des Pèlerins.


Clou de la vraie croix. — Dessin de Bonnafoux.

Trinité des Pèlerins est une église richement décorée, située près la place Farnese et le pont Sixte. À l’église attient un couvent, et c’est à ce couvent que se rendent les pèlerins pauvres qui viennent à Rome ; après l’Ave Maria on les reçoit ; les membres de la confrérie des pèlerins, au nombre desquels figurent les dames romaines, lavent les pieds des nouveaux venus et leur servent à souper.

Les étrangers continuent à affluer ; à l’hôtel où je prends mes repas, il y a dîners à cinq heures, à sept heures et à neuf heures, et pendant que les derniers convives achèvent leur nourriture, des voyageurs attendent impatiemment leur départ, afin de prendre possession, sur la table d’hôte, des matelas qui leur sont destinés pour la nuit. Il y a vraiment trop de monde, et je crains que la foule ne se presse trop fort aux cérémonies de la Sixtine.


MERCREDI SAINT.


Ténèbres à la Sixtine. — Musique. — Carrosses. — Miserere d’Allegri.

Assister aux Ténèbres du Vatican est une véritable campagne, et toutes les organisations ne sont pas capables de supporter une semblable fatigue. Mais procédons par ordre.

Comme les Ténèbres de la Sixtine ne commençaient que vers quatre heures de l’après-midi, j’employai ma matinée à me renseigner sur ce que c’était que Ténèbres et sur la musique que l’on y exécute. Les voyageurs entendent souvent prononcer certains mots dont ils ne saisissent pas bien la valeur ; ce sont ces mots que je désirais m’expliquer ; et quant à la musique, je désirais surtout avoir la perception bien nette des principales divisions qui la composent ; quant à la connaître et à bien la comprendre, il faut pour cela une étude spéciale. C’est chose fort intéressante, mais assez difficile.

On doit bien distinguer les psaumes, les leçons, les antiennes, les répons et les lamentations. Les psaumes (que l’on appelle aussi les hymnes) sont des portions d’un texte sacré, généralement tirées des livres de Moïse, de Salomon ou de Zacharie ; ils s’exécutent en plain-chant, et tiennent autant de la musique que de la parole seule ; c’est une sorte de déclamation modulée qu’on appelle psalmodie. Ce mot a été souvent, par la musique moderne, entendu dans un sens ennuyeux, mais on ne peut juger les psaumes à ce point de vue, et les fins de phrases leur donnent parfois beaucoup de caractère.

Les leçons se rapprochent un peu des psaumes ; c’est une lecture de texte sacré, sur un seul ton, généralement d’un mouvement plus vif que les psaumes ; la fin de chaque période est modulée, et selon le caractère et le sens de la phrase, la cadence est différente ; elle affecte une allure affirmative, négative, interrogative, marquée par une forme musicale traditionnelle.