Page:Le Tour du monde - 15.djvu/230

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cations ; ils rappellent les lumières allumées dans les catacombes par les fidèles persécutés, et personnifient par leur nombre Jésus-Christ d’abord, puis les apôtres et trois Maries. Le cierge qui personnifie le Christ est en cire blanche ; on le place en haut du candélabre triangulaire qui porte les lumières ; les quatorze autres cierges sont en cire jaune ; on les éteint successivement pendant l’exécution des ténèbres, et cette extinction successive peut rappeler la fuite des apôtres et l’abaudon de plus en plus grand de Jésus-Christ pendant sa passion.

Les Ténèbres se célébraient d’abord dans la nuit ; puis peu à peu on en avança l’ordre, de sorte que les ténèbres du jeudi se célèbrent à présent le mercredi, celles du vendredi le jeudi, celles du samedi le vendredi ; la journée de samedi tout entière reste ainsi plus libre pour disposer les cérémonies de Pâques.

Mais à Ténèbres, le public ne voit guère qu’une chose, n’attend qu’une chose : le Miserere, qui s’exécute à la fin ; or, avant le Miserere, il y a toujours trois psaumes avec trois antiennes, des leçons, trois lamentations avec répons ; puis le Benedictus et le Christus factus est. Les personnes qui n’ont pas étudié cette musique religieuse ont la tête très-fatiguée par cette longue série de morceaux appartenant à un système musical en dehors de leurs habitudes.


Garde noble. — Dessin de A. de Neuville.

À présent que je t’ai indiqué les principales divisions de la musique entendue à la Sixtine, je passe aux cérémonies elles-mêmes. À part le Vatican, il y avait à Rome d’autres fêtes religieuses pendant la journée ; notamment, à Sainte-Marie Majeure, avait lieu le grand pénitencier ; ce grand pénitencier avait, pour la rémission des péchés, plus d’autorité encore que celui du Latran auquel j’ai assisté, mais son pouvoir n’était pas aussi grand que celui du grand pénitencier du jeudi saint. C’est à partir du mercredi que les voyageurs à Rome regrettent toujours de ne pouvoir se diviser en plusieurs morceaux intelligents pour assister en même temps à plusieurs cérémonies ; ainsi aujourd’hui, il y avait ténèbres à Saint-Pierre en même temps qu’à la Sixtine. Je remis Saint-Pierre à vendredi, et vers trois heures je me dirigeai vers le Vatican.

Sur la route, j’étais dépassé par les voitures des hauts personnages en tenue de gala ; les carrosses sont rouges et or, richement décorés ; les glaces en sont grandes et laissent apercevoir au dedans les cardinaux en grand costume ; avec eux, se tiennent leur secrétaire et leur caudataire ; les valets sont en grande livrée ; devant les portes des palais romains, les suisses eu uniforme, armés de leurs énormes cannes, se tiennent debout, dorés, galonnés, portant culottes courtes et chapeaux à plumes ; les carrosses des princes romains, des généraux, des ambassadeurs, luttent de luxe avec ceux des cardinaux, mais les trois voitures des sénateurs sont surtout curieuses ; la livrée est jaune et rouge, et consiste en une culotte courte au-dessus de bas blancs, un pourpoint à crevés, et un manteau rouge et jaune à collets superposés comme les carricks du commencement de ce siècle ; sur la tête, les domestiques et cochers portent des chapeaux de feutre de haute forme, à larges galons, à gros pompons, et leurs têtes sortent de fraises blanches, tuyautées et très-développées.

Des lignes de soldats gardent l’escalier royal, et, pour éviter l’encombrement, ne laissent passer que les personnes dont le costume répond à l’étiquette exigée. Règle générale, dès ce jour, n’importe où il va, l’étranger fait bien d’être en noir et en habit ; il parera ainsi aux petites exclusions que justifierait une toilette négligée ; il y a tant de monde qu’on ne laisse pas échapper un seul moyen de diminuer l’encombrement.

Je pénètre dans la salle royale ; une foule compacte obstrue la porte de la chapelle Sixtine ; les suisses ne savent plus où donner de la tête ; ils sont le point de mire des sollicitations des dames, qui leur font leurs plus gracieux sourires pour obtenir qu’ils les laissent passer. Mais, en supposant qu’elles pussent passer le seuil de la porte, comment faire après ? Tous les bancs sont combles ; la Sixtine est relativement petite et ne peut suffire à contenir tous les voyageurs, qui tous veulent entendre le Miserere. La foule est si compacte au dedans de la chapelle que des généraux en grand uniforme, des fonctionnaires connus, dont les places sont gardées réglementairement, aiment mieux renoncer à gagner leurs bancs que de traverser l’épaisse cohue qui oppose à toute invasion une force d’inertie invincible.

L’assistance était mêlée ; civils, militaires, religieux, voyageurs, se pressaient devant la porte et, malheureusement, ne gardaient pas toujours le silence nécessaire