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pas m’y perdre et de ne rien oublier dans la longue série des cérémonies qui ont défilé devant mes yeux.

1o Avant neuf heures, j’étais dans la salle Royale, attendant l’ouverture de la chapelle Sixtine ; je crus un moment que, encore moins heureux qu’hier, je ne pourrais pas entrer. L’espace réservé aux hommes est très-étroit, et j’étais serré à ne pouvoir remuer. Ce fut dans cette situation que je parvins à voir, par dessus les têtes de mes voisins, la disposition de la chapelle et l’entrée des personnages ecclésiastiques qui se réunissaient avant l’arrivée du saint-père. Toute la tenture du trône et de l’autel est blanche ; tous les ornements sont de même couleur ; le blanc est admis le jeudi de la semaine sainte, en souvenir de l’institution de l’Eucharistie. Le mélange des costumes ecclésiastiques avec les tentures de la chapelle formait un coup d’œil splendide. Le pape arriva peu après ; les gardes nobles formèrent une haie entre la chapelle et le public, et après que les cardinaux eurent été baiser la main du pontife, l’office commença.

Le moment important de la messe de ce jour était celui de l’élévation. Un maître des cérémonies sortit de la sacristie avec douze bussolanti portant de grandes torches allumées ; ces derniers se rangèrent de chaque côté de l’autel ; ce fut, entouré par Ce double cordon de lumière et de riches costumes, que le célébrant consacra les hosties, celle d’aujourd’hui, puis celle de demain vendredi, que le pape porte après la messe dans la chapelle Pauline. Lorsque je vis le maître des cérémonies procéder à la distribution des cierges, je quittai la chapelle ; la salle Royale était pleine de gens attendant la procession, et les curieux étaient si serrés que me laisser au premier rang leur parut plus aisé que de m’ouvrir un passage.


Porte-éventail. — Dessin de A. de Neuville.

À ma droite était la chapelle Pauline, que je n’avais pas encore vue ouverte. Elle est plus petite que la chapelle Sixtine, sa décoration est moins riche, et surtout moins artistique ; elle sert à l’exposition des Quarante-Heures et au tombeau du Jeudi-Saint. Pour décorer l’autel, le Bernin a dessiné un appareil d’éclairage singulier ; il se compose de rangées de candélabres peints, découpés dans du bois léger, et rapprochés les uns des autres ; les lumières ne sont pas fort nombreuses, mais la perspective est calculée de manière à produire beaucoup d’effet. C’est le triomphe du trompe-l’œil italien, système dont on a parfois tant abusé dans la décoration intérieure des palais. Vu du centre, à peu près, de la salle Royale, l’éclairage est splendide ; à mesure qu’on approche, sa puissance diminue, et quand on a dépassé le seuil de la chapelle, les lignes de la perspective, calculées pour un point de vue pris de plus loin, se brisent et le prestige disparaît.

2o Pendant que j’examinais cette illumination, le cortége du saint-père sortit de la Sixtine. La croix était portée en tête ; le saint-père était abrité, sous son dais, par une petite ombrelle blanche brodée d’or ; il tenait dans ses mains un calice magnifique, appelé calice du sépulcre, et dont la ciselure est attribuée à Benvenuto Cellini. Les chantres de la chapelle étaient divisés en deux groupes ; l’un suivait la procession, l’autre était demeuré dans la chapelle Sixtine, et ces deux chœurs se répondaient en dialoguant ; l’effet en était très-remarquable. Le saint-père traversa la salle Royale et se rendit à l’autel de la chapelle Pauline, où il déposa le calice entre les mains du cardinal assistant. Un sacristain le plaça ensuite dans une urne appelée le Tombeau ; allégorie à la présence spirituelle du Christ dans l’hostie déposée sur l’autel. Les chœurs se firent entendre de nouveau et dialoguèrent encore jusqu’à ce qu’ils fussent réunis dans la Sixtine ; la procession, fendant la foule, disparut et rentra dans la chapelle.

3o Je descendis immédiatement après le retour de la procession par l’escalier de la cour des Suisses, et je courus m’installer sur la galerie ornée de statues qui surmonte le corridor de droite, en regardant la façade de Saint-Pierre. Cette galerie, à laquelle on ne parvient pas sans billets, est admirablement placée pour assister à la bénédiction. Elle est située à peu près à moitié de la hauteur de la loge et l’éloignement la fait paraître au même niveau ; cet éloignement n’est pas assez considérable