Page:Le Tour du monde - 15.djvu/235

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pelle. En avant, on a fait un échafaudage recouvert de housses, et c’est là que viennent s’asseoir les apôtres auxquels le pape lavera les pieds. Les apôtres figurent aussi à la Cène ; ils sont au nombre de treize ; ce sont des prêtres appartenant à des nations différentes ; les ambassades présentent chacune les leurs ; voici au reste leur répartition d’après un très-ancien réglement. L’ambassade de France en présente un — l’Autriche, l’Espagne, le Portugal, chacun un — le cardinal d’état, un — le cardinal camerlingue, un — le préfet de la propagande, deux — le cardinal des Arméniens, un — le capitaine des Suisses, un — le majordome du Vatican, trois ; en tout treize. Ce nombre de treize paraît singulier, car Jésus-Christ ne figurait pas ; Judas étant supprimé, il ne devait rester à la Cène et au Lavement des pieds que onze personnages ; mais l’on compte parfois un apôtre de plus, puis saint Grégoire avait l’habitude de recevoir à sa table douze pauvres qu’il nourrissait ; un jour, un treizième convive vint s’asseoir parmi eux ; c’était un ange envoyé pour glorifier le pontife ; et c’est surtout, dit-on, en souvenir de cette intervention miraculeuse, que le nombre de treize apôtres a été fixé pour le jeudi saint.


Porteur de tiare. — Dessin de A. de Neuville.

Leur costume se compose d’une robe blanche, avec pèlerine de même couleur ; la coiffure est de forme ovoïde et ressemble à un turban élevé ; en attendant le pape, les apôtres prennent place sur les gradins. Un baigneur découvre la jambe et le pied de chacun d’eux. Le pape lave le pied au-dessus d’un bassin que porte un bussolante, il l’essuie doucement et le baise ; à côté du Saint-Père marchent des bussolanti tenant l’eau, les linges et une corbeille pleine de bouquets de fleurs — les apôtres emporteront ces bouquets à la Cène, — après que le pape a essuyé le pied, un trésorier remet à chaque apôtre une médaille d’or et une autre d’argent, renfermées dans une bourse rouge ; ces médailles représentent d’un côté l’effigie du pape, et l’année du pontificat y est indiquée ; puis de l’autre côté, on voit Jésus-Christ lavant les pieds des apôtres.

5o Après cette cérémonie, les apôtres traversent la Basilique, le vestibule, montent l’escalier royal et entrent dans la galerie de la Cène où je n’ai pu pénétrer. Anciennement la Cène avait lieu dans la salle de Constantin ; mais le nombre de plus en plus grand des voyageurs a rendu nécessaire depuis longtemps un vaisseau plus considérable. Dans la galerie au-dessus du vestibule, on a disposé une longue table couverte de surtouts dorés représentant les treize apôtres et l’Agneau Pascal ; il y a, en plus, des fleurs et treize vastes corbeilles destinées à recevoir la desserte de la table ; cette desserte forme, avec leurs vêtements, les couverts dont ils se servent, et une bourse ajoutée, le bénéfice des prêtres choisis pour figurer à ces cérémonies. Lorsque les apôtres sont assis, le Saint-Père arrive, les plats lui sont présentés à genoux par des bussolanti, puis il se retire quand il a servi quelques-uns des mets destinés aux apôtres. Dans le menu offert figure toujours un buisson d’écrevisses et des poissons frits ; pourquoi cet usage ? je l’ignore. Peu après le départ du pape, les apôtres prennent leurs corbeilles, font glisser dedans ce qui doit leur appartenir, puis ils se lèvent et distribuent, en les jetant aux spectateurs, les fleurs qui composent les bouquets qu’on leur a distribués au Lavement des pieds ; ils se retirent, et la foule s’écoule alors avec peine au travers de la salle royale. D’après les renseignements que l’on m’a transmis, la tenue du public était assez singulière, et il regardait cette cérémonie comme une représentation purement théâtrale, sans paraître en comprendre ni l’origine, ni la signification.

Entre la Cène et les ténèbres de la Sixtine, il y a environ deux heures que les voyageurs peuvent employer ailleurs qu’à Saint-Pierre ; mais il n’y a pas à s’éloigner ; tout au plus va-t-on dans les cafés de la place prendre un peu de nourriture. On déjeune le matin, mais c’est fini pour le reste du jour ; pour bien voyager, il faut savoir vivre de peu.

Un ancien usage ouvre, le jeudi saint, de deux heures à quatre, le Vatican tout entier. Je vais y faire un