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collége et les fonctionnaires supérieurs furent miraculeusement préservés de tout mal en descendant, avec le plancher défoncé, d’un étage à l’autre. Lorsque le moment de l’audience est venu, un camérier vient chercher chaque personne ou groupe de personnes et les conduit jusqu’auprès du Saint-Père, que l’on n’approche ordinairement qu’après trois génuflexions successives.

Pendant la Semaine sainte, les hauts personnages étrangers sont à peu près les seuls qui puissent obtenir la faveur des audiences particulières, et tous les efforts des voyageurs tendent à entrer aux audiences solennelles ; le nombre des personnes admises est ordinairement de sept à huit cents chaque fois ; les protestants eux-mêmes s’agitent pour y trouver place, et l’on raconte qu’aujourd’hui le pape, qui, soi-disant, ignore ce petit manége, a dit finement « qu’il donnait aux uns et aux autres sa bénédiction, aux uns comme à ses enfants, aux autres pour leur ouvrir les yeux, à tous du plus profond de son cœur. »

Voici quel est le cérémonial de ces audiences. Les personnes autorisées et munies de lettres se réunissent dans la grande galerie des Cartes, au Vatican ; les dames et les hommes sont en tenue d’étiquette ; le majordome range tous les assistants sur deux longues lignes, et lorsque le Saint-Père arrive, il parcourt lentement les rangs qui s’agenouillent sur son passage ; un secrétaire lui indique, à mesure qu’il s’avance, les noms des postulants et l’objet de leurs vœux ; parfois le pape adresse quelques mots aux personnes près desquelles il se trouve. Lorsqu’il est arrivé au bout de la galerie, il monte sur un trône qui lui a été préparé ; il fait une courte allocution et donne sa bénédiction pontificale. Il se retire ensuite.

Passant à d’autres sujets, nous ne devons pas oublier la bénédiction à domicile ; elle se donne à tous les appartements et dans toutes les maisons. C’est un usage qui existe, il me semble, dans une partie du midi de la France, où l’on bénit les maisons, si ce n’est régulièrement chaque année, du moins lors de certaines solennités de famille. Un prêtre, suivi d’un enfant de chœur, monte dans les maisons de sa paroisse ; il entre dans tous les appartements, et circule, bénissant les chambres, les meubles, les ustensiles, les provisions et les habitants. Ordinairement, sur la table des cuisines romaines, on prépare une corbeille pleine d’œufs que l’on mange le jour de Pâques. Toutes les maisons de Rome reçoivent ainsi cette visite du curé de leur paroisse.

Les voyageurs sont rarement de retour chez eux lorsque, le samedi, la bénédiction pascale se donne à domicile. Aussitôt les cérémonies de la Sixtine, de Saint-Pierre et du Latran terminées, on songe à l’audience solennelle, et ceux qui n’ont pas le bonheur d’être au nombre des élus, font les visites obligatoires dans les magasins qui vendent aux touristes les menus souvenirs qu’on se croit généralement obligé de rapporter de Rome.

Le chiffre des acquisitions faites chaque année par les voyageurs est énorme ; certaines industries romaines ne fabriquent qu’en vue de la saison où viennent les touristes dont elles vivent exclusivement. Les produits s’adressent à une masse considérable de personnes, et, comme toujours dans des circonstances semblables, l’art n’en peut que souffrir ; la plupart des produits sont de mauvais goût et d’une banalité déplorable. Les photographies et les gravures sont parfois belles, mais il faut savoir les choisir. Le voyageur, ordinairement, aime beaucoup les bijoux, surtout les camées et les mosaïques ; on lui vend alors sous ces deux formes les productions les plus mauvaises ; à Rome, on fait de la mosaïque partout ; il n’est pas rare d’apercevoir chez un marchand de vin, chez un épicier, les garçons faire de la mosaïque en attendant les clients. Il y a quelques maisons où les bijoux sont très-remarquables, mais la plupart des voyageurs qui veulent avoir quelque chose à effet et coûtant peu, s’adressent à des marchands qui tiennent fort peu au bon goût et auxquels d’ailleurs la modicité des prix rendrait difficile une meilleure fabrication. D’ailleurs, pourquoi changeraient-ils leur genre de commerce ? Voilà cinquante ans qu’ils vendent les mêmes objets ; on les vendra cinquante ans encore. Aussi les bagages qui quittent Rome renferment-ils d’ordinaire tous la même broche, le même bracelet portant la même devise, le même monument. À côté de ces objets mondains, se trouvent les chapelets et les médailles, qui sont les objets qu’on rapporte de préférence aux personnes pieuses ; il ne saurait s’élever à leur propos aucune question de goût ou de mode ; le modèle est un et ne change pas ; le prix seul diffère ; il y a des chapelets depuis un franc la douzaine jusqu’à mille francs la pièce, et le voyageur qui voudra rapporter une petite provision de ces menus objets, devra aller près la Minerve, via Santa Chiara ; il y a là, chez Mme R. Mercurelli, un commerce énorme et très-curieux de menus livres, gravures, photographies, chapelets et autres objets spécialement religieux. J’ai fait, dans ce quartier, ma visite et mes petites acquisitions, et je suis revenu par le Panthéon, puis par le Corso ; partout les confiseurs, nombreux à Rome, décorent leurs boutiques de sucres colorés représentant l’Agneau pascal, le petit saint Jean et le petit Jésus tenant un oriflamme.

À demain la grande journée de Pâques.


DIMANCHE DE PÂQUES.


Le matin. — Tribune dans Saint-Pierre. — Public. — Décorations passagères de Saint-Pierre. — Entrée du pape. — Cortége. — Les quatre tiares. — Les épées suisses. — Les éventails. — Messe. — Élévation. — Communion par le chalumeau. — Départ trop rapide du public. — Vue de la place. — Bénédiction solennelle. — Défilé des grands personnages. — Illumination de la coupole. — Les filous italiens.

À cinq heures du matin, je sautais hors de mon lit ; les salves d’artilleries tirées au Fort Saint-Ange faisaient trembler les vitres de ma fenêtre, et je tenais à me rendre de grand matin à Saint-Pierre, non pour m’assurer une place à l’avance, mais pour bien voir la physionomie du public voyageur dans cette dernière