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Il a le droit de faire infliger les punitions corporelles. C’est ordinairement le fouet ; mais il ne doit aller que jusqu’à un certain nombre de coups, vingt ou vingt-cinq.

Quand la peine est plus grave, c’est la police qui s’en charge ; alors c’est le mir qui prononce.

Le mir est une réunion de paysans à qui le seigneur a délégué momentanément son autorité ; c’est un semblant de protection, une assemblée osant faire ce qu’un individu isolé n’oserait pas.

Quand le paysan soldat revient dans son pays (après trente-cinq ans de service), s’il retrouve une famille, il l’aide dans ses travaux et gagne sa nourriture chez elle ; autrement il se met à mendier, l’État qu’il a servi ne lui devant rien. Comme il n’est plus serf, son seigneur ne lui doit rien non plus. Aussi rencontre-t-on partout de vieux soldats, à peine vêtus d’un uniforme en lambeaux, la poitrine couverte de décorations, ou plutôt de petites planchettes peintes sur lesquelles sont représentées les couleurs des décorations qu’ils ont méritées, leur misère les empêchant de s’en procurer les rubans.

On comprend qu’ayant en perspective un sort aussi fortuné, le paysan intelligent cherche à s’y soustraire ; il arrive alors qu’il demande la permission de s’éloigner pour aller gagner sa vie autrement que par les travaux agricoles. On lui répond que s’il trouve une caution



pour ses trois journées de travail, désormais il pourra payer en argent. Il s’en va donc à la ville, se met à y exercer une profession, et paye une somme de vingt roubles (quatre-vingts francs) par an, qu’on nomme l’abrock.


Ouglitch. — Dessin de M. Moynet.

Les isvochiks, les marchands, ceux qui exercent toutes les industries sont des serfs qui payent l’abrock.

Une fois en possession de cette demi-liberté, il a bientôt conquis une position ; beaucoup deviennent fort riches, millionnaires, tout en restant serfs, ou bien ils se rachètent si le maître y consent.

On en cite qui ont offert pour s’affranchir deux cent mille francs à leur maître, qui a refusé. Depuis l’ukase d’émancipation, ils pourront se racheter pour une somme insignifiante.

L’avenir est à eux ; ils peuplent les villes ; ils représentent l’industrie, le commerce ; ils composent la classe intelligente qui doit aider au développement de la richesse du pays.

Nous recommençons notre course. À sept heures nous entrons à Kalaisine, ou nous tombons dans la plus sordide auberge qu’on puisse imaginer ; aussi ne consentons-nous à y accepter l’hospitalité que pour nos chevaux. Pauvres bêtes !

Nous nous empressons ensuite de nous diriger vers un ravin qui nous conduit droit au Volga.