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La crainte, si nous nous écartions trop du Volga, de ne plus pouvoir trouver de bateau et le froid qui commence à se faire sentir la nuit, nous forcent de nous en tenir à ce que nous en disent nos compagnons de voyage.

Ces ruines occupent un espace de six verstes de circuit, environ 60 hectares ; elles ont été visitées par Pierre le Grand et Catherine II. Ce sont les restes de plusieurs monuments tartares qui témoignent, dit-on, d’une architecture avancée. On a réparé ou du moins consolidé ce qui était le mieux conservé.

On a relevé et traduit toutes les inscriptions arabes et arméniennes. Les inscriptions arméniennes sont datées de 984 et de 1579, ce qui prouve que cette ville a existé un assez grand nombre de siècles avant la conquête des Russes, et que le pays, maintenant a peu près désert, était jadis très-habité. Les Russes ont beaucoup plus détruit de villes qu’ils n’en ont bâti. Ils étendent leur territoire : ils ne civilisent pas. Dans le Caucase et les pays environnants soumis à leur domination, on rencontre bien des villes autrefois florissantes et aujourd’hui anéanties. On attribue généralement à leur mauvaise administration le vide qui semble se faire autour d’eux. Le régime inauguré par l’empereur actuel changera-t-il cet état de choses ? l’ancienne organisation exclusivement militaire a-t-elle fait son temps ? C’est ce que les Russes intelligents espèrent. Mais il faut bien reconnaître que certaines races semblent impuissantes à atteindre les degrés supérieurs du progrès social. Les Turcs en sont une preuve : on peut assurément l’affirmer après tant de siècles écoulés sans qu’ils soient parvenus à prendre rang parmi les nations laborieuses, inventives, sans cesse en recherche des moyens de rendre la vie humaine plus heureuse et plus digne. On ne saurait encore prononcer le même jugement contre la Russie ; mais il devient temps qu’elle sorte de son immobilité et qu’elle s’avance résolument vers l’avenir.


Navigation sur le Volga. — Simbirsk et Samara. — La tarentule. — Saratof. — Moyens expéditifs d’avoir des chevaux de poste. — Kirghis et Kalmouks. — Extraction du sel au bord du lac Elton.

Le fleuve s’élargit toujours. — Nous arrivons à Simbirsk, chef-lieu du gouvernement de ce nom.

La ville est perchée à une assez grande hauteur sur le sommet d’une colline, et elle offre cette particularité qu’elle est placée entre deux cours d’eau parallèles, qui coulent en sens contraire, le Volga du nord au sud et la Sviaga du sud au nord.

Les deux courants ne sont pas séparés seulement par la ville, et la Sviaga ne rejoint le Volga, dans le gouvernement de Kazan, qu’après une course de cent verstes.

Nous embarquons des Tchouvachs, parmi lesquels se trouve une femme en grand costume de fête ; je m’empresse de faire un croquis : il est assez différent de ceux que j’ai rapportés de Kazan. Il paraît que le contact de la civilisation a influé sur ces costumes des femmes tchouvachs, mordouanes et tatares. Les hommes seuls sont restés fidèles à la tradition.

Après avoir passé Singhïlei, sur la rive gauche, nous voyons devant nous le village de Boumarat, et celui de Mordovo à droite, placé en face de la rivière Tchéremchan, qui vient grossir encore le Volga. Tous ces villages sont habités par les Tchouvachs et les Mordouans, ceux de la rive gauche surtout.

À Stavropol, on commence à apercevoir les Kalmouks. C’est dans cette ville que demeurent leurs chefs et ceux qui servent d’intermédiaires dans leurs relations avec la Russie. Quant aux simples Kalmouks, ils ne quittent pas leur vie libre sous leurs tentes de feutre ; un grand nombre d’entre eux a été converti au culte grec, et leurs prêtres demeurent à Stavropol. On en compte une trentaine de mille ; mais on n’a jamais pu les astreindre à la culture des terres, ils sont restés pasteurs. Les autres, la moitié de la nation, vivent dans les steppes, professent le culte de Lana et mènent la vie nomade. Nous les retrouverons bientôt.

Stavropol est une ville d’administration. Elle est bien située. Elle m’a paru remplie de soldats. On lui a donné le nom de Stavropol (ville de la Croix) parce qu’elle a été construite, en 1730, pour servir de résidence aux Kalmouks chrétiens.

À Stavropol, le Volga fait un brusque détour à l’est pour revenir en arrière. À Sizran, peu éloigné de son point de départ, la route de terre, qui a une quinzaine de verstes, et est côtoyée par la petite rivière Oussa, réduit le trajet de cent vingt verstes à quinze. Mais la rivière n’a pas été canalisée ; aussi sommes-nous obligés de passer par Samara.

Nous perdons de vue les collines à droite. Les deux rives sont très-basses et n’ont rien d’intéressant. Notre pyroscaphe a pris à la remorque deux grands bateaux, dont un, chargé de canons et de projectiles de guerre, se rend à Astrakan. Il a fait à Stavropol sa provision de combustibles. Le pont en est littéralement couvert. Il nous est bien difficile de circuler. Nous descendons dans la chambre, afin de mettre nos notes et nos dessins en ordre.

Je termine un croquis que j’ai fait pendant qu’on encombrait notre bateau, opération qui n’a pas demandé moins de quatre heures. D’après l’autorité de notre intendant, qui me regarde faire, les saules que j’ai dessinés sont d’une espèce particulière que je ne retrouverai pas ailleurs. En effet, j’avais été surpris de ne pas apercevoir de tronc. Ils se multiplient par leurs racines, qui vont s’étendant autour d’eux à mesure que les premières tiges meurent et se dessèchent. Cet arbre se rencontre communément sur les bancs de sable, dans toute la contrée, jusqu’à Astrakan. On l’appelle Tchernata (saule noir) parce que ses feuilles ne sont pas, comme celles du saule, argentées.

Vers le soir nous arrivons à Samara. Le pont n’est pas encore débarrassé. En sautant tant bien que mal par-dessus les bûches, je m’empresse de me rendre à terre.

Il est nuit lorsque nous entrons dans la ville. Con-