Page:Le Tour du monde - 63.djvu/330

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sans le moindre succès sur les paysans japonais ou chinois. J’aurai à étudier au point de vue ethnique cette observation et bien d’autres, que je ne puis qu’indiquer ici, au courant de ce rapide voyage. Nous quittons maintenant la plaine pour nous engager dans la montagne, car les vallées se resserrent en même temps que les collines augmentent et s’élèvent. Nous commençons bientôt l’ascension d’un col difficile, le Sam-sam (Montagne à Trois Pics) ; le sentier où nous sommes est si étroit que le moindre faux pas précipiterait dans l’abîme homme et cheval. Enfin, après une heure de pénible montée, nous redescendons, dominant tout l’horizon. Une vaste ceinture de cimes dénudées nous entoure ; une longue arête dentelée y forme diamétralement comme une muraille de sombre verdure au milieu des champs cultivés. Mon cuisinier chinois, qui admire ce splendide paysage, éclairé bizarrement par les rayons du soleil mêlés à l’ombre portée de quelques nuages, s’endort comme hypnotisé sur son cheval. Il manque par deux fois de tomber à terre, à la grande joie de la caravane, riant fort de son effarement quand à la troisième il se réveille couché sur la route.

Nous franchissons successivement une suite de collines et de petits vallons en pleine culture, où nous jouissons de l’effet décoratif des costumes blancs des Coréens, scintillant comme des points lumineux dans le paysage. Cela me rappelle dans un autre ton le fameux foulard rouge des tableaux de Corot. Ici tous les paysans s’entourent la tête d’un mouchoir blanc, ne servant qu’à cet usage, puisqu’on se mouche avec les doigts. Pour un autre petit besoin, les hommes relèvent, jusqu’à la hauteur nécessaire, le bas de leur large pantalon, qui n’a pas l’ouverture habituelle, les boutons étant inconnus en Corée. Une coutume bizarre est la façon dont on construit en Corée. On pose d’abord les quatre poutres qui doivent former les angles de la maison, puis on s’occupe immédiatement après de la toiture ; viennent ensuite les voûtes destinées au chauffage et les planchers ; enfin, complètement au rebours de chez nous, on finit par les murs. Signalons encore un usage particulier au pays, c’est de se dépouiller de ses vêtements pour pénétrer dans des huttes coniques recouvertes de paille et y battre ainsi le grain à l’abri de la poussière, du soleil et de la pluie.

Dans la vallée accidentée, on est sans cesse entouré d’un cercle de collines dont il semble qu’on ne sortira jamais, par suite de leur perpétuel renouvellement sous les aspects les plus divers. Tout cela est d’un pittoresque exquis et rivalise avec les plus jolis sites de la Suisse.

Le repaire du tigre. — Dessin de Riou, d’après une photographie.

Les gorges se resserrent de plus en plus, et maintenant les déclivités des collines sont seules cultivées. Au-dessus et au-dessous de nous s’étendent de nombreuses rizières ; elles coupent la montagne horizontalement, se succèdent les unes aux autres, et forment comme les marches d’un escalier de géants dont les dalles seraient remplacées par d’immenses nappes d’eau d’un vert foncé. L’eau s’épanche successivement de l’une à l’autre par de petites rigoles admirablement amé-