Page:Le Tour du monde - 63.djvu/332

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Nous laissons maintenant sur la droite un petit village aux masures de chaume. Au centre se dresse une maison nobiliaire. Son élégante toiture, légèrement recourbée et ornée de tuiles artistiques, domine tout le hameau et fait un étrange contraste avec la misère qui l’environne. Cent mètres plus loin, nous rencontrons un arbre aux branches duquel sont suspendues de nombreuses bandelettes d’étoffe et de papier de couleur avec et sans écriture ; à quelques pas de là, sous un abri de branchages d’environ 2 mètres de large sur 1 de haut, se trouve une grossière idole. Elle est le plus souvent à demi enfouie sous les offrandes, principalement des pierres déposées par les passants. Tels sont les arbres et grottes fétiches en Corée. Auprès des plus fréquentés s’élève d’habitude un hangar destiné à abriter les voyageurs ; leurs offrandes consistent quelquefois, en dehors des pierres, papiers, chiffons dont j’ai parlé, en petits chevaux de mauvaise fonte de fer, présages certains d’un heureux voyage. J’ai trouvé en maints endroits, dans les vallées et presque toujours aux issues des villages, les mêmes restes de ce culte fétichiste, survivance certaine des premières mamifestations religieuses des peuplades primitives. Après avoir franchi le Mori-san, les passes deviennent de plus en plus étroites, car Les collines se dressent presque perpendiculairement et ne permettent plus aucune culture. De nombreux torrents se réunissent à nos pieds, au fond d’un effroyable précipice, et le sentier où nous sommes est si étroit que, de crainte d’accidents, nous abandonnons nos chevaux à leur instinct naturel. Aux approches des passages les plus dangereux se trouve une petite chapelle rustique couverte de chaume et ouverte de trois côtés. Le quatrième est un mur sur lequel sont fixées de grossières images en papier représentant un énorme tigre, des divinités fabuleuses ou bien les génies de la montagne. Un récipient rempli de cendres est placé sur l’autel. Le voyageur épouvanté brûle des bâtons d’encens destinés à se rendre favorables les dieux agrestes de ces lieux terribles. Nous constatons que les habitudes fétichistes que nous avons observées dans la vallée sont remplacées ici par un commencement de culte supérieur s’adressant aux esprits qui gouvernent la nature.

De la crête des Tol-mok-ton, nous jouissons d’un admirable panorama sur les deux vallées, que nous dominons superbement. Après avoir franchi le Cha-mian-lsan, nous arrivons enfin à l’auberge de Koum-mak, située à la frontière de la province de Kyeng-keu-to, que nous quittons. Disons ici que cette province occupe le centre ouest-nord de la Corée, et est bornée : au nord par le Hoang-hai-to, à l’est par le Kang-ouen-to, à l’ouest par la mer Jaune et au sud par le Tchyoung-tchyeng-to. Le pays est très montagneux, particulièrement au nord, où se trouve le Poul-tok-san ; il est arrosé du sud au nord-ouest par le Han-kang, qui y compte de nombreux affluents et sous-affluents. On y trouve, comme dans toute la Corée, les mines les plus diverses, mais elles sont depuis longtemps abandonnées, par suite des anciennes lois dont nous avons parlé. Même végétation que dans le centre de l’Europe, plus quelques produits de Chine et du Japon. La principale culture est celle des fèves, dont on exporte à l’étranger pour plus de 2 millions de francs par an, montant de la moitié des exportations ; la pomme de terre, introduite par les Pères, y est à peine cultivée. Quant à la faune domestique, elle est identique à la nôtre, à part les moutons et les chèvres, qui sont en très petit nombre, leur élevage étant uniquement réservé au roi pour les sacrifices au Ciel, à Confucius et aux ancêtres ; la chasse fournit tous les produits que nous avons en France ; il en est de même pour le pêcheur ; malheureusement le pays est infesté par les tigres, les léopards, les panthères, etc. Enfin partout on trouve des vestiges d’antiques monuments attestant l’importance politique qu’a toujours eue cette région.

Tigre. Image décorant une chapelle — Gravure de Krakow, d’après une peinture coréenne.

Le Kyeng-keui-to (ou province de la Cour) et celle de