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m’envoyant souhaiter une bonne nuit. Après avoir adressé les mêmes vœux je peux enfin songer à ma cavalerie, dont je suis très préoccupé. À ma grande joie, je retrouve tous nos chevaux debout et mastiquant de la plus joyeuse façon la fameuse soupe chaude aux haricots.

Décidément nous pourrons repartir le lendemain malin de bonne heure, car ma caravane, qui s’est attachée à moi, consent à m’accompagner jusqu’à Fousan. Je passe ensuite la revue de ma garde d’honneur, installée en grand costume dans la cour, aux portes, un peu partout, et je rentre dans ma chambre, tout enchanté de mon séjour à Taïkou.

J’avoue que si la cour de Séoul n’avait pas été en deuil, j’aurais, malgré les obligations de cour, accepté l’hospitalité du gouverneur, pour profiter de toutes les réjouissances qu’en temps ordinaire on m’eût probablement offertes. Elles se composent généralement d’un concert coréen, d’exercices acrobatiques, de danses exécutées par des jeunes filles ou femmes élevées dans ce but, enfin d’une représentation théâtrale. Pour ne pas priver le lecteur de toutes ces distractions, j’en donne ici quelques croquis et vais les compléter par l’aimable récit d’une fête de ce genre traduit sommairement d’un très intéressant volume sur la ville de Séoul, publié à Boston chez Ticknor and Company sous le titre de Choson, the land of the morning Calm, par M. Percival Lowell, secrétaire de la légation des États-Unis en Corée.

Le très spirituel auteur raconte que, pendant son séjour à Séoul, il organisa avec plusieurs collègues européens une partie de campagne au couvent le plus proche pour y faire une petite fête à la façon des Coréens de distinction.

Enfants coréens (voy. p. 341) — Gravure de Thiriat, d’après une photographie.

« On part de grand matin, accompagné de domestiques chargés de tout ce qu’il nous faut pour vivre à l’européenne, de quelques geisha, musiciens et comédiens coréens, enfin des chevaux nécessaires à l’expédition, Nous traversons joyeusement une partie de la charmante campagne qui environne Séoul et faisons l’ascension de la montagne où se trouve le couvent. Il contient, outre d’importantes dépendances, deux pagodes peu remarquables. Au moment de notre arrivée on sonne les cloches à la façon chinoise, c’est-à-dire en faisant retomber bruyamment le marteau sur la cloche immobile. Enfin trois coups largement espacés indiquent que l’on commence l’office dans les temples.

« Nous pénétrons dans le principal, qui contient des images, des tambours, des fleurs artificielles, des bâtons d’encens bizarres et un immense poisson en bois suspendu au plafond. Au moment où nous entrons, douze moines en habits solennels marchent en procession et forment en chantant une spirale sans fin, pendant qu’un novice accroupi près de l’autel bat le tambour. La litanie est en sanscrit, langue que ces pauvres moines ignorent, ce qui excuse leurs sourires quand ils passent près de nous. La cérémonie se termine bientôt par l’offrande habituelle à l’autel de riz, de fruits et enfin de la fleur de lotus. Nous sortons pour gagner le réfectoire, où nous dînons servis par les aimables geisha, qui, comme des gazelles, se sont peu à peu apprivoisées à nous. Flagrante Iris même murmure doucement à mon oreille les quelques mots japonais qu’elle connaît sous l’impression touchante mais erronée qu’ils sont le langage de son cœur. Sa charmante coquetterie forme contraste avec les figures des moines, qui nous regardent avec étonnement et sans rien dire. Elle est vraiment charmante, cette jeune fille : j’oublie déjà dans son sourire que je suis étranger et à deux milles lieues de ma patrie quand on nous prie après le dîner de quitter nos places afin de disposer la salle pour la représentation. En un instant on nous installe à l’extrémité de la vaste salle sur des nattes, coussins, etc. ; devant nous les musiciens s’assoient en. cercle et préparent leurs instruments ; plus tard ils seront acteurs, cumulant ainsi deux professions. Une foule compacte les entoure, on dirait une mer de figures humaines ; chacune d’elles exprime l’émotion, la curiosité, l’attente et le contentement. Les plus éloignés se tiennent debout contre le mur, car la salle est remplie et les portes