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Page:Le Tour du monde - 63.djvu/354

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naissant des princières prévenances de Son Excellence, je les attribue moins à moi-même qu’à la France, qu’il a voulu honorer dans son modeste représentant scientifique. Mais, au point de vue de l’exquise politesse coréenne, je dois ajouter que l’aimable gouverneur et le ministre des affaires étrangères, en réponse à des souvenirs que je leur ai adressés de Paris pour les services que tous deux m’avaient rendus, m’envoyèrent chacun avec une grâce parfaite de fort jolis cadeaux et de charmantes lettres. Voici la traduction de l’une d’elles, très curieux spécimen du style épistolaire coréen.

« Réponse de M. Kim-Kiang-Tchin, gouverneur de la province de Kyeung-Sang, à M. Collin de Plancy, le 4 du deuxième mois de l’année Keuctchouk (le 26 décembre 1889).

« L’année dernière, M. Varat, qui était en train d’accomplir son voyage autour du monde, m’a fait l’insigne honneur de passer par ma capitale ; nous avons conversé longuement ensemble et sommes devenus amis dès notre première entrevue ; cette visite m’a causé tellement de plaisir que je ne l’ai point oubliée jusqu’à ce jour.

« Maintenant l’aimable explorateur veut bien me faire cadeau de deux tapis : ce présent vient du fond du cœur, et est tellement précieux pour moi que je ne puis m’empêcher de lavoir continuellement sous les yeux.

« La politesse rend bienfait pour bienfait : j’ai donc choisi quatre stores en bambou très fin que je suis heureux d’offrir à M. Varat.

« J’espère que Votre Excellence voudra bien faire parvenir ces objets au destinataire et lui transmettre l’expression de toute ma gratitude.

« (Je termine cette lettre) en remerciant également Votre Excellence des compliments qu’Elle a bien voulu m’adresser et des éloges dont Elle m’a comblé. »

Hélas ! j’ai le regret de constater ici que, l’année suivante, j’apprenais non seulement la mort de cet aimable gouverneur, mais aussi celle de Mgr Blanc et de la sœur venue du Sénégal qui m’avaient si gracieusement accueilli à Séoul.

Chat fétiche (voy. p. 351). — Gravure de Krakow, d’après un dessin coréen.

Je reprends mon veston de voyage, et me mets cette fois à la tête de la caravane, c’est-à-dire à la place officielle déterminée par les rites, car j’ai maintenant un cortège des plus pompeux. Une centaine de serviteurs du gouverneur m’accompagnent dans leurs brillants costumes, dont les plus riches sont en soie claire, bleue, rose ou verte, recouverts de gaze noire ou blanche. Tout cela resplendit sous les gais rayons du soleil matinal et nos petits chevaux sont comme affolés au milieu de ce luxe de vêtements aux riches couleurs, auxquelles leurs yeux ne sont pas accoutumés. C’est ainsi que nous traversons majestueusement la ville, au milieu d’une nombreuse population accourue de toutes parts pour assister à notre départ. Nous gagnons la campagne, et, quelques kilomètres plus loin, comme nous descendons une côte en cette superbe ordonnance, voilà que tout à coup retentit dans les airs une épouvantable fanfare, si inattendue, stridente et fantastique, qu’on se croirait au jugement dernier. Nos chevaux terrifiés se cabrent ; mes quatre cavaliers tombent, et l’un d’eux si malheureusement que, le pied pris dans son étrier, il est entraîné par sa monture. Un effarement général se produit dans ma vaillante escorte. Je lance mon cheval pour rejoindre mon soldat en détresse, et au moment où, penché à demi, je vais le sauver, ma selle tourne, et me voilà par terre à mon tour, prouvant une fois de plus combien la roche Tarpéienne est près du Capitole. Je ne me suis fait aucun mal, me relève aussitôt, crie et fais signe à mes gens affolés d’arrêter les poneys ; ils s’en rendent enfin maîtres et je constate avec plaisir que personne n’est blessé. Alors, pour sauvegarder ma dignité atteinte par ma chute, je passe mon bras entre la sangle et le ventre du cheval pour montrer devant tous, au palefrenier, que, ahuri de notre brillant cortège, il a oublié de sangler ma bête. Après les reproches obligatoires, j’imagine, pour relever complètement mon prestige, de me faire voir de mon poney, qui, à l’aspect de mon costume, auquel il ne peut s’habituer, se dresse sur ses jambes de derrière, et veut recommencer, mais en vain, car cette fois je me suis mis en selle à l’émerveillement des Coréens. Ceux-ci sont, en effet, de très médiocres cavaliers, particulièrement les personnages officiels, qui ne montent jamais qu’accompagnés de quatre palefreniers tenant chacun une des longues lanières attachées par paire au mors et à la queue de l’animal dont ils dirigent ou arrêtent ainsi le moindre mouvement. Le mandarin ainsi monté n’a donc qu’à se prélasser confortablement dans la plus douce quiétude.

La caravane se reforme, et mon interprète me demande s’il faut interdire les fameuses sonneries.

« Sont-elles d’usage ?

— Oui, me répond-on.