Page:Le Tour du monde - 63.djvu/356

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deux chiens errants et vu, au milieu de la brume du soir, je ne sais quelle lumière opaque à travers les châssis en papier de quelques rares fenêtres. Nous sortons par la porte opposée à celle où nous sommes entrés, et restons longtemps muets, comme si le silence de la ville eût été contagieux. Je me retourne pour jeter un dernier regard sur cette étrange cité, et vois les lourdes portes se fermer doucement seules, comme si elles eussent été poussées par les esprits des morts. J’apprends au prochain village, où nous passons la nuit, qu’à la suite d’une épouvantable épidémie de choléra la ville a été presque complètement abandonnée. Ce terrible fléau décime fréquemment tout le pays.

Porte à Mil-yang. — Dessin de F. Courboin, d’après une photographie.

Nous avons vu comment les Coréens cherchent à désarmer l’esprit de la petite vérole, ils emploient un système à peu près analogue pour toutes les maladies : il consiste à garnir de nourriture une petite table rectangulaire destinée à cet usage ; deux vases de fleurs sont placés à chaque extrémité, et un tambour est suspendu au-dessus, alors le mari et la femme qui ont quelqu’un des leurs malades s’assoient à terre devant la table et appellent l’esprit de la maladie en frappant sur le tambour et en agitant une sonnette pour l’inviter au repas ainsi offert et détourner par là sa colère ; mais pour agir sur l’esprit du choléra, le procédé est tout à fait particulier et même préventif : il consiste simplement à fixer à sa porte une peinture représentant un chat ; en voici la raison, ultra-logique : La morsure du rat donne des crampes, le choléra également. Que craint le rat ? Le chat. Donc il en sera de même pour le choléra c. q. f. d., si je me rappelle mes mathématiques.

Le lendemain, pour la première fois, le temps est véritablement couvert et je dois insister pour faire partir la caravane ; mais, une embellie étant survenue, mes hommes recouvrent leur gaieté, et l’un d’eux m’apporte mon bouquet matinal. Voici comment cet usage s’était introduit. J’ai pour principe en exploration, comme je l’ai déjà dit, de me montrer au départ très exigeant pour tout ce qui regarde la discipline du convoi, certain que chacun se soumettra aisément, se sentant près de l’autorité ; et comme les bonnes habitudes sont bientôt prises, on n’a plus après qu’à se montrer plein de bonté pour tous. Aussi mes hommes, enchantés de moi, s’ingénient-ils chaque jour pour répondre aux soins que je prends d’eux, de leurs chevaux. C’est ainsi qu’un après-midi, j’ai fait signe à un des palefreniers de me cueillir une fleur inconnue, et, après l’avoir admirée, pour ne pas faire fi de la pauvrette, je l’ai mise à ma boutonnière ; à partir de ce moment, chaque matin on m’offre un petit bouquet, que je fixe de la même façon à mon vêtement.

Donc, lecteur, si jamais vous faites de l’exploration et que vous vouliez être adoré de vos compagnons, faites comme moi et vous serez fleuri tous les jours par une Isabelle en pantalon.

Nouvelle ascension du Tcha-kine-oune-san, qui,