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ANALYSES.a. fouillée. L’avenir de la métaphysique.

la nature en effet s’efforcent de connaître les choses telles qu’elles sont indépendamment de tout être sentant et pensant[1] Mais la métaphysique peut-elle et doit-elle se proposer cette exclusion absolue du sujet qui pense ? Non, puisque son objet est le tout, et que le tout, comprenant des êtres pensants, ne serait pas complet sans une part attribuée à la pensée. » Aipsi le vrai rapport du phénomène à la réalité n’est nullement celui qu’imaginent Kant et ses disciples, c’est-à-dire le rapport d’une apparence expérimentale à une chose en soi qui serait par nature en dehors de toute expérience possible : ce sera le rapport de la partie au tout. Il n’y a ici que la distinction entre une expérience incomplète et une expérience complète qui serait la conscience même de l’univers. « Le monde des phénomènes, c’est la réalité partielle ; le monde des choses, c’est la réalité totale. »

En quoi cette métaphysique immanente diffère-t-elle de la philosophie générale, simple systématisation des sciences proprement dites ? C’est qu’elle a pour objet le fond radical, irréductible de l’expérience, l’élément ultime de toute réalité. La systématisation des sciences n’aboutit pas à leur parfaite unification : elle laisse au contraire l’esprit en face d’une dualité et comme d’une polarité universelle. Si, d’une part, les sciences physiques tendent à exprimer toutes choses en termes de masse, de figure et de mouvement ; d’autre part les sciences mentales finissent par tout résoudre en sensations, en idées, en états de conscience. Comment ramener cette dualité à l’unité ? C’est là le problème qui appartient en propre à la métaphysique et qu’elle ne peut résoudre que par la critique et la comparaison des deux grands ordres de sciences. Aussi M. Fouillée la nomme une application de la psychologie à la cosmologie et de la cosmologie à la psychologie, application, dit-il, qui, à mesure qu’elle prendra une forme plus méthodique, aura la même importance en philosophie que l’application de l’algèbre à la géométrie en mathématiques.

Toutefois, si la psychologie et la cosmologie sont de part et d’autre des sciences positives, placées en quelque sorte sur le même plan, on voit difficilement par quel moyen la métaphysique pourra les départager. De ces deux termes auxquels se réduisent finalement tous les autres, le mouvement et la conscience, ou, comme auraient dit les cartésiens, l’étendue et la pensée, lequel exprime la réalité vraie ? Certes, la métaphysique, telle que M. Fouillée la conçoit, ne peut manquer d’aboutir enfin à ce dernier problème ; mais elle devra peut-être se résigner à le poser sans le résoudre. Trois hypothèses, nous dit-on, sont possibles à priori : 1o la réalité s’exprime dans l’ordre matériel (matérialisme), 2o elle s’exprime dans l’ordre mental (idéalisme), 3o elle s’exprime par l’un et par l’autre, ou plutôt elle ne s’exprime par l’un ni par l’autre :

  1. Si on entendait ceci au pied de la lettre, il s’ensuivrait que les sciences de la nature reprennent pour leur compte l’insoutenable prétention de la vieille ontologie.