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j.-j. gourd. — morale et métaphysique

sacré, digne de respect, de l’obligation morale, nous en trouvons sans peine la justification dans l’origine même de l’obligation. Les évolutionnistes rapportent le sentiment du respect moral à l’association établie dans notre esprit entre l’obligation et l’autorité paternelle, politique ou religieuse ; d’un autre côté, on le rapporte à Dieu. II nous suffit de penser que l’obligation provient d’un acte solennel de la volonté, d’une décision sérieuse constamment confirmée dont les conséquences s’étendent sur une longue durée, et que cet acte libre marque un haut degré d’intensité dans la vie psychique. S’il s’agissait de mystère, de poésie, alors peut-être faudrait-il revenir aux légendes et aux mythes religieux ; mais s’il s’agit du respect strictement moral, le seul dont nous ayons à nous occuper ici, nous nous demandons comment une existence ultra-phénoménale l’inspirerait pour une obligation qui serait insuffisante à l’inspirer elle-même. En ce sens, nous pouvons dire avec M. Renouvier que « nous ne connaissons rien de plus sacré que la conscience, ni rien qui puisse nous paraître tel sans son assentiment ». — Nous n’avons pas non plus de difficulté à admettre une sanction au sens ordinaire du mot. La sanction, dit-on, c’est « l’ensemble des récompenses et des peines attachées à l’exécution ou à la violation de la loi ». Disons plus simplement : la conséquence des actions au point de vue du plaisir, et constatons que cette conséquence ne saurait être mise en doute par nous. Oui, certes, des récompenses sont attachées à l’obéissance morale, il serait contradictoire qu’il en fût autrement. Ou bien la coordination faite en vue du plaisir est mal faite, ou bien l’obéissance à ses prescriptions doit procurer une augmentation proportionnelle de plaisir. De la sorte, il est vrai, la sanction ne constitue pas un élément distinct et nouveau ; mais cela même est un avantage, car si la sanction devait s’ajouter à ce que nous connaissons, c’est que le bien serait à part du plaisir, et l’on serait fort en peine d’établir la nécessité de leur union, même en se transportant sur le terrain métaphysique, comme nous allons le voir.

Cependant, dira-t-on, les hommes vertueux ne sont pas pleinement heureux. C’est vrai, et nous ajoutons que les plus vertueux ne sont pas les plus heureux, bref qu’il n’y a pas harmonie entre le bonheur et la vertu. Mais de quel bonheur veut-on parler ? Selon qu’il s’agirait de plaisirs organiques, ou de plaisirs idéalistes, et surtout de plaisirs spécifiquement moraux, la conclusion pourrait bien changer. Et puis, remarquons ceci : la coordination pratique ne garantit pas le plus de plaisir possible, absolument parlant, mais le plus de plaisir possible relativement à la condition dans laquelle on se trouve ; elle ne change pas les choses indépendantes de notre