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doit mutiler quelquefois la réalité. C’est ici que la notion du bien libre intervient heureusement. Elle nous rappelle qu’il ne faut pas faire avec la morale ce que d’autres ont fait trop longtemps avec la science. Moins de prétentions pour l’une comme pour l’autre. La réalité les dépasse toutes les deux. Il y a quelque chose, en fait de vérité, que n’atteint pas la science ; il y a aussi quelque chose, en fait débouté, que n’atteint pas la morale. La réalité réserve toujours ses droits en face des coordinations, quelle que soit leur nature. On l’assouplit à leurs cadres, elle s’y prête, et le plus souvent c’est pour le mieux. Mais quelquefois elle prend sa revanche, elle se relève, elle domine tout, elle est meilleure, elle est plus vraie, elle est plus belle que tout. Plus belle, oui aussi. L’art qui régularise vaut mieux ordinairement que la simple nature. Et pourtant la nature n’échappe pas toujours en vain aux coordinations de l’art. C’est alors qu’elle est sublime, c’est-à-dire élevée au-dessus de toute règle, grandiose dans sa souveraine liberté.

La mention du bien libre nous est utile aussi pour notre étude ultérieure. Il s’agit maintenant de considérer le côté positif des rapports entre la métaphysique et la coordination pratique. Celle-ci peut, aussi bien que la coordination théorique, s’établir parfaitement sans le recours à l’ultra-phénomène : nous croyons l’avoir prouvé. Et pourtant la croyance métaphysique n’est point vaine. Il est encore possible de la justifier pratiquement. Elle n’est pas un moyen, une condition, de la coordination pratique, soit ; mais elle en est un objet. Nous espérons le montrer bientôt.

J.-J. Gourd.