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sence même de la civilisation, ou à un caractère accidentel et passager de la nôtre, à un poison qu’elle nous apporte parmi tant de salutaires élixirs ?

On conçoit que, formulé ainsi, le problème qui nous occupe se rattache à toutes les préoccupations du sociologue, à toutes les branches de là sociologie ; religion, politique, législation, mœurs, industrie, arts, tout s’y rapporte ; et il me faut tout d’abord louer M. Arsène Dumont, avec qui je vais causer un instant plutôt que discuter, d’avoir mieux que personne compris la portée, la complexité, l’élévation d’un sujet trop souvent abandonné à de purs statisticiens. J’ai lu peu de livres plus profonds et plus attachants ; le style, en sa sévère poésie, y reflète expressivement une pensée ferme, une âme pleine d’un noble idéal. Démocrate d’une trempe peu vulgaire, à l’effigie de Périclès et non de Cléon, cet auteur ne cache pas à ses amis les vérités dures, il montre aux démocraties leur écueil. Son ampleur d’esprit, d’ailleurs, n’est rien moins que du scepticisme ou de l’éclectisme ; nous en verrons des preuves.

Si la cause principale de notre dépopulation est une volonté propagée par l’exemple, pourquoi cet exemple dangereux a-t-il triomphé de la concurrence d’exemples opposés, si ce n’est parce qu’il a été jugé, et de plus en plus universellement jugé, propre à satisfaire des désirs eux-mêmes en voie de croissance et de propagation imitative ? Quels sont donc ces désirs funestes ? Pour M. Dumont, ils se résument en ce seul mot : l’idéalisme individuel. Devant l’individu fasciné, dans nos démocraties, surgissent toutes sortes d’échelles de perroquet et de mâts de cocagne, où pour la première fois il est autorisé à grimper, ce qui lui donne la rage de cette ascension. Hiérarchie sociale, niée de bouche, attestée de cœur, proclamée par l’envie et la haine mêmes dont elle est l’objet ; hiérarchie professionnelle ; hiérarchie militaire ; inégalité des fortunes, des rangs, du savoir, du talent, du luxe et de l’élégance ; autant de gradins superposés qui, comme en une vision de Jacob vulgarisée, éblouissent de leur prestige antique ou nouveau le citoyen égalitaire de nos sociétés. Cette épidémie de mégalomanie démocratique reçoit de notre auteur un nom assez original : la capillarité sociale. De même qu’en vertu de l’attraction capillaire chaque molécule de la sève des plantes s’élève de leurs radicelles à leur cime, ainsi, par un effort continu, travaille à monter du dernier échelon au plus haut sommet social, le moindre atome de nos plèbes. Cette soif de grandeurs imaginaires, que l’individu rêve pour lui tout seul, n’a rien de commun avec l’ambition qui, en d’autres temps, a fait désirer ardemment à certains l’élévation de leur famille ou la gloire de leur cité. Cet idéalisme national ou familial, loin d’entraver la fécondité, la favorisait. Mais, chez nos fonctionnaires, notamment, le prurit de l’avancement, la rage du déménagement, chez tout le monde la fureur de briller par la copie d’élégances coûteuses ou par la copie de ces copies, excluent le désir d’une progéniture encombrante. Les enfants sont des impedimenta