dans cette course à l’assaut du plaisir, du pouvoir, de la richesse, du savoir même. Notre organisation sociale, visiblement modelée par cette frénésie, donne donc une prime au célibat. Je suis persuadé, comme M. Dumont, que la proportion des célibataires ou des mariés sans enfants est plus grande parmi les fonctionnaires, et aussi dans le personnel politique, que dans l’ensemble de la nation. Il est fâcheux que cette statistique n’ait pas été faite ; et je dirais que c’est surprenant, si l’importance de l’imitation en sociologie n’avait toujours été méconnue. Comment expliquer autrement que, au lieu de s’égarer parfois en tant de recherches stériles ou oiseuses de démographie, les statisticiens n’aient pas étudié à part la nuptialité et la natalité des classes qui donnent le ton et l’exemple aux autres dans les quatre cinquièmes du pays, c’est-à-dire dans les petites villes et les bourgs ? « Outre sa charge spéciale, dit très bien M. Dumont, chacun des principaux magistrats est devenu une espèce d’apôtre, chargé de propager les modes et les goûts de Paris, d’affecter grand air et suffisance, d’en imposer au peuple, d’éblouir les femmes et de frapper de respect le bourgeois. » On l’imite en tout, même en sa stérilité relative, condition sine qua non de son agilité. Cette influence déprimante des fonctions publiques sur la population a plus d’importance qu’on ne pourrait le croire.
Mais partout, même en dehors d’elle, sévit la manie de monter en grade, fondée sur l’erreur de croire trop aux grades, aux situations et de ne pas assez tenir à son site propre, d’apporter en toutes choses la préoccupation écolière des places de composition. Les grands enfants que tourmente cette maladie du siècle sont fort joliment comparés aux saumons qu’un invincible instinct pousse à remonter une rivière et à se tuer contre un barrage plutôt que de ne pas sauter par-dessus. Tels « les individus, entraînés en haut par une force inconsciente, masquée à leurs yeux par l’illusion du bonheur personnel, en subissent l’attraction jusqu’à la mort ». De là, en partie, la progression des suicides. — En a-t-il toujours été ainsi, dans le passé ? Non, nous le savons. Le nivellement égalitaire a puissamment contribué à déchaîner ce fléau. « Quand deux ou plusieurs espèces (animales), circonscrites dans la même aire géographique, ont la même organisation, les mêmes mœurs et les mêmes besoins, la lutte entre elles est d’autant plus vive qu’elles sont identiques, car toutes veulent le même gîte pour s’abriter, les mêmes plantes pour se nourrir. Pareillement, plus une nation est égalitaire, homogène dans ses mœurs, ses lois, ses goûts et ses aspirations, plus, d’autre part, la lutte sera âpre entre ses membres. Tous auront le même idéal, tous concourront aux mêmes emplois, viseront aux mêmes plaisirs, au même genre de vie. En conséquence, plus il y aura de concurrents, plus il y aura de vaincus, plus il y aura de douleurs, de tristesses et de désespoirs secrets. »
Quelle réquisitoire contre la démocratie ! Il est vrai qu’ensuite M. Dumont s’efforce de la disculper. L’égalité démocratique, dit-il,
