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ANALYSES. — ch. letourneau. L’évolution politique.

blions pas, Rome a mis l’ordre là où il n’y avait qu’un chaos, elle a appris au monde le droit, lui a donné la paix sociale fondée sur une solide organisation administrative et une savante législation ; elle a, autant qu’elle a pu, supprimé ces absurdes petites guerres detribu à tribu qui faisaient ressembler l’Europe barbare àl’Afrique actuelle. Même réduite à un souvenir, l’unité romaine est encore restée longtemps un idéal politique pour l’Europe du moyen âge. Sauf les Carthaginois, Rome n’a point fait disparaître les races vaincues, comme l’ont fait les Espagnols conquistadores, comme le font encore les Anglo-Saxons. Elle se les assimilait au contraire, et se laissait même infuser leur sang nouveau au point d’en être finalement étouffée. La vie locale était respectée dans une très large mesure, et la paix romaine n’était point faite de solitude ni établie sur des ruines, Rome a fait en somme accepter et aimer sa conquête ; elle a obtenu la fusion politique des nationalités sans exiger leur effacement. L’Europe contemporaine, qui aujourd’hui souffre à l’agonie de son impuissance à résoudre le même problème, a-t-elle le droit de faire fi d’un tel résultat ? En définitive, nous ne savons pas ce qu’aurait été notre état social, si Rome n’avait pas « étouffé le germe de toute civilisation originale ». Mais nous savons que cette civilisation était la barbarie ; nous savons ce qu’elle est restée jusqu’à ce qu’elle en revint à des principes juridiques dès longtemps posés par Rome, et dont l’oubli seul permettait l’établissement de l’inique et tyrannique féodalité ; nous savons enfin où en sont, pour la plupart, en fait de droit politique et civil, les peuples qui ont eu le moins de contact avec le monde romain.

Pouvons-nous maintenant, comme nous l’avons fait pour l’évolution de la propriété, présenter un tableau général de l’évolution politique telle que la conçoit M. L. ? Nous voyons assez nettement la transition de l’anarchie et de l’égalité primitives à l’organisation qu’on est convenu d’appeler républicaine, et de celle-ci à la forme de la tribu monarchique. La guerre joue dans cette transformation un rôle capital et bien connu, en exigeant l’action d’ensemble, qui nécessite elle-même l’obéissance à des chefs dont le pouvoir, primitivement temporaire et électif, devient peu à peu permanent et héréditaire. De la tribu monarchique à la « petite monarchie barbare » et de celle-ci à la « grande monarchie barbare » comme celle des Incas ou celle des Pharaons il y aurait une transition progressive par voie de coalescence et de conquête. Ce tableau, que nous résumons le plus brièvement possible (p. 525-531), répond évidemment au plus grand nombre des faits. Malheureusement l’évolution sociale n’est pas partout aussi simple ni aussi régulière. Certains phénomènes de régression, que l’auteur reconnaît d’ailleurs, nous arrêtent et ne nous panxissent pas suffisamment expliqués. Par exemple la Grèce homérique est sous le régime de la tribu monarchique. Evolue-t-elle dans le sens d’une monarchie de plus en plus despotique et de plus en plus vaste ? Au contraire elle revient presque tout entière à la forme républicaine tout