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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/207

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ANALYSES. — l. lévy-bruhl. L’Allemagne depuis Leibniz.

alors plus de confiance dans cet avenir qu’il essaye de prévoir et qu’il faut aussi s’efforcer de préparer. Après tout il vaut peut-être mieux avoir moins de confiance pour déployer plus d’énergie. Mais si nous voulions espérer, M. L. ne donnerait guère de prise à nos espérances. Il n’est pas optimiste, nous le savons déjà. Et franchement le spectacle actuel de l’Europe n’est pas pour lui donner tort. M. L. a bien pu nous dire à peu près ce qu’il souhaitait ; qui le blâmera de ne pas nous dire sur quoi on peut compter ?

G. Belot.

L. Lévy-Bruhl. L’Allemagne depuis Leibniz. — Essai sur le développement de la conscience nationale en Allemagne, 1700-1848 (Paris, Hachette, 1890).

Les doctrines des philosophes peuvent être étudiées au moins de trois manières, en elles-mêmes, ou dans leurs causes, ou dans leurs effets. En elles-mêmes, elles offrent un ensemble plus ou moins cohérent d’idées, et la tâche de l’historien est de rechercher les rapports logiques de ces idées entre elles, d’en faire ressortir la liaison et l’unité, œuvre artificielle parfois et qui suppose que la pensée d’un philosophe doit toujours être une et son système sans contradiction. Les causes non plus ne se laissent pas aisément déterminer, bon nombre nous échappent, et qui sait même si nous pourrons jamais saisir la principale, je veux dire le génie d’un penseur qui révolutionne le monde intellectuel ? Mais les effets sont plus aisés à reconnaître, et non moins intéressants : par eux la philosophie entre dans le grand courant de l’histoire d’un peuple, elle en modifie d’abord peu à peu le fond, et finit par apparaître un jour à la surface. C’est dans leurs effets que M. L.-B, étudie les doctrines des philosophes allemands : il veut montrer en quoi elles ont aidé au développement de la conscience nationale en Allemagne.

Le danger d’une telle étude, M. L.-B. l’a vu et l’a évité, était de faire la part trop grande aux idées, en négligeant d’autres causes, non moins efficaces, les faits eux-mêmes ou les événements. La philosophie a contribué beaucoup à la formation de l’unité germanique ; la politique encore plus, ce semble. Seulement les effets de celle-ci n’ont été décisifs que parce qu’ils étaient préparés et rendus possibles par quelque chose de plus intime et de plus profond, l’état des esprits, auquel les philosophes n’ont pas été étrangers. L’unité nationale d’un peuple est peu de chose, si elle ne se fonde sur l’unité morale. On le vit bien au xviie siècle, où cette unité morale, déjà ébranlée par les divisions religieuses, fut détruite dans la guerre qui trente années mit aux prises les Allemands entre eux, les uns aidés par les Suédois et les Français, les autres par les Espagnols, tous étrangers qu’on préférait aux compatriotes, parce que c’étaient au moins des coreligionnaires. Qu’importe après cela que le Saint-Empire romain germanique fût encore maintenu ? L’unité politique que ce nom signifiait n’était désormais qu’une vaine