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apparence. Il fallut, et ce fut l’œuvre des littérateurs et des philosophes, refaire l’unité morale de l’Allemagne, pour la rendre de nouveau capable d’unité, comme nation et comme état. Ceci se fera, sans doute, grâce à plusieurs concours heureux de circonstances : l’unité avait péri par la guerre de Trente ans surtout ; c’est par la guerre aussi qu’elle renaîtra, les deux guerres de Sept ans d’abord sous Frédéric II, guerres politiques, où cependant l’existence même d’un Etat, la Prusse, se trouvait en jeu, au moins dans la seconde ; celle de 1813 à 1815, qui fut pour l’Allemagne une guerre de l’indépendance ; enfin celles de 1866 et de 1870-71. M. L.-B. ne va pas jusque-là, il s’arrête à 1848. Mais dans la période qu’il étudie, de 1700 à 1848, le moment critique, qui décidera de l’avenir, est de 1806 à 1815, d’Iéna à Waterloo. Or à ce moment surtout les philosophes ont puissamment agi, et par leurs discours et par leurs écrits, et c’est à eux en grande partie que l’on doit le réveil national de 1813.

M. L.-B. rappelle d’abord le rôle de conseiller d’État que Leibniz, sans y être invité et sans être écouté d’ailleurs, aimait à jouer auprès des princes. Cependant le genre de patriotisme qu’il représente paraît avoir une affaire d’intérêt plutôt que de sentiment, et il montre pour son pays de l’amour sans doute, mais surtout de l’ambition. Lorsqu’il exprime son dépit que Strasbourg ait été cédé à Louis XIV, sans la moindre clause récupératrice, il parle en propriétaire jaloux de maintenir l’intégrité de son domaine, et qui aurait voulu le transmettre tel qu’il l’a reçu. Quand il découvre, dans le passé de l’Allemagne, que la Lorraine, la Bourgogne, etc., ont été terres d’Empire, que Lyon, et même Marseille et Venise ont été villes d’Empire, il parle en historien curieux des faits, qui en a le respect et le culte, et qui ne désespère pas d’en faire renaître un jour des droits ; ces vieux textes, où se trouvent mentionnées tant de choses, qui ont été réelles, sont pour lui comme des titres de propriété dont on n’use pas, mais qu’il faut conserver précieusement, pour en user plus tard. En attendant, Leibniz, si allemand qu’il soit, se sert à peine de la langue allemande ; lorsqu’il veut être lu, c’est en latin qu’il écrit, ou mieux encore en français.

Toute l’aristocratie allemande, en effet, était, par la littérature et le langage, par l’étiquette et les manières, gagnée à l’influence française ; il fallait donc, afin de refaire une Allemagne, s’adresser, et en allemand, à la bourgeoisie. À cette œuvre ont travaillé, sans le savoir peut-être, comme ouvriers de la première heure, Spener, qui fonda le « piétisme », Thomasius et surtout Wolff, deux philosophes, Gottsched, un littérateur. — Un peu moins de théologie scolastique, et un peu plus de charité évangélique, prêchait Spener ; que les pasteurs ne restent pas à l’écart, mais qu’ils prodiguent leurs exhortations aux fidèles ; que ceux-ci se tiennent en communion constante les uns avec les autres, et s’animent par l’exemple à la pratique des bonnes œuvres : leur foi n’en sera que plus vive, étant plus agissante, et le sentiment religieux préparera ainsi dans les âmes comme un fond solide à la moralité. —