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ANALYSES. — l. lévy-bruhl. L’Allemagne depuis Leibniz.

Wolff réforma de même la philosophie, ou du moins l’enseignement de lii philosophie en Allemagne, où l’on n’avait pas eu, comme chez les Français et les Anglais, un Descartes ou un Locke, pour rompre avec la tradition du passé : Leibniz, tout en la transformant, la continuait encore. Wolff écrivit en allemand, et non plus en latin, ses gros traités, et cela seul était déjà une réforme ; puis il n’exprima que des idées communes, sensées, et le plus méthodiquement du monde, l’universalité et la souveraineté de la raison, par exemple, chez les Chinois comme chez les Européens, et tous nos devoirs fondés là-dessus immuablement. Au nom de la philosophie, il faisait, et avec non moins d’efficacité peut-être, pour la morale ce qu’avait fait Spener, au nom de la religion. Wolff fut « le maître à penser », disait Voltaire, Hegel dira « l’instituteur » de l’Allemagne. — Enfin Gottsched voulut réformer la littérature ; mais ses tentatives furent moins heureuses, parce que sa méthode, toute en formules et en recettes, n’était pas bonne. Il eut cependant le mérite de protester « contre l’injustice des étrangers dans le jugement qu’ils portent sur les savants d’Allemagne », et celui de réunir un « catalogue de toutes les comédies, tragédies et opéras écrits en allemand de 1450 à 1750 ».

Plus encore peut-être que les hommes de lettres, Frédéric II fut pour le pays un éducateur, sinon par ses maximes et par sa conduite, au moins par le prestige de ses victoires et de ses conquêtes. Les chants et les écrits patriotiques d’Ewald von Kleist, de Gleim, de Thomas Abbt, les célébrèrent en Allemagne, tandis que Rosbach en France n’excita guère que la verve des chansonniers. Frédéric s’était battu contre les Hongrois de Marie-Thérèse, contre les Russes, contre les Français, c’est-à-dire toujours contre des étrangers et des ennemis pour les Allemands. Tout ce qu’il avait montré d’intelligence et d’énergie, on l’attribuait aux qualités de la race germanique ; volontiers, par contre, on aurait rendu l’influence française responsable de tous ses défauts, de son incrédulité surtout et de son immoralité. Les Français avaient gâté ce héros allemand, au point de ne lui inspirer que mépris pour toute autre littérature que la leur, et principalement pour la littérature nationale.

Rien n’excitait plus le scandale et l’indignation de Klopstock, qui ne le pardonna jamais à Voltaire. Avec Klopstock et sa Messiade commence véritablement la culture littéraire, continuée par Lessing, Ooethe et Schiller, et qui, jointe à la culture philosophique de Herder, Kant, Fichte et Schleiermacher, produira l’unité morale du pays. Lessing réagit contre l’engouement de la littérature française : il conseille d’imiter les Anglais plutôt que les Français ; mais il amenait peu à peu les écrivains à s’affranchir de toute imitation étrangère. La Dramaturgie est moins une œuvre de critique que de polémique ; il crible de traits nos chefs-d’œuvre, afin d’en dégoûter ses compatriotes et de leur faire chercher ailleurs des modèles. Goethe crut les trouver dans l’antiquité classique, interprétée à sa façon qui est bien allemande. Il