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ANALYSES. — l. lévy-bruhl. L’Allemagne depuis Leibniz.

leurs convoitises par les diplomates aux traités de 1815. Bornons-nous à indiquer la double question qui remplit toute son histoire depuis cette époque jusqu’en 1848 et même jusqu’à nos jours.

Un certain nombre d’Allemands, publicistes et hommes d’État, avaient cru, lors du soulèvement de 1813, travailler à l’établissement de deux choses à la fois : l’unité nationale et la liberté politique. Le roi de Prusse, par son fameux Appel à mon peuple, en mars 1813, semblait encourager ce double espoir, et, tant que dura la guerre de la délivrance, l’Allemagne du Nord au moins se sentit une dans l’entraînement de la lutte et l’enivrement de la victoire. Mais cette guerre, commencée contre l’Empire français, se fit aussi bien en réalité contre la Révolution française. On ne pensait d’abord qu’à contenir, sinon à renverser un conquérant ambitieux ; mais ce n’était pas pour accepter ensuite les principes, dont il s’était fait près de vingt ans, comme il disait, le soldat armé. De là, après le triomphe de 1815, une réaction contre les idées nouvelles, qui avaient régné d’abord en France, et une tentative pour restaurer ou consolider et raffermir partout l’ancien régime. Ce fut le programme de l’Autriche et de la Russie ; la Prusse l’accepta et ne fut pas la dernière à l’exécuter. Déçus dans leur ambition de conquête illimitée aux dépens de la France, patriotes et libéraux allemands ne le furent pas moins dans leur désir et leur besoin de liberté politique. Aussi firent-ils, de 1815 à 1848, tous leurs efforts pour avoir l’une et l’autre, unité et liberté, et l’une par l’autre, l’unité par la liberté, s’il était possible. Quelques-uns même, oubliant un peu l’unité, ne songeaient qu’à la liberté, et tournaient des regards de sympathie et d’envie vers la France, qui leur offrait alors le spectacle d’un gouvernement parlementaire. Mais si les aspirations politiques de quelques Allemands les rapprochaient de la France, les aspirations nationales de la plupart les en éloignaient invinciblement. La France pouvait bien les aider, au moins par son exemple, à conquérir la liberté chez eux ; mais elle demeurerait toujours le principal empêchement à la réalisation de leur unité. Or la grande affaire est de vivre d’abord comme peuple ; vivre libre ne vient qu’après. On le sentit en Allemagne, surtout à partir de 1840, où l’on crut la France prête à réclamer de nouveau sa frontière du Rhiu, et encore plus à partir de 1848, où les libéraux firent de vaines tentatives au parlement de Francfort pour fonder à la fois la liberté et l’unité, en absorbant la Prusse dans l’Allemagne. On dut se résigner à conquérir l’unité d’abord, et au besoin par le fer et par le feu, et en absorbant pour cela, s’il le fallait, l’Allemagne tout entière dans la Prusse, sauf à obtenir ensuite de celle-ci et pour elle et pour tous, sauf à lui imposer même tôt ou tard la liberté. Des deux problèmes qui se posaient pour l’Allemagne au lendemain de 1815, celui de l’unité nationale et celui de la liberté politique, et dont l’un si longtemps fit tort à l’autre, le premier seul est résolu, mais l’autre demande à son tour une plus complète solution.

Telle est l’idée que M. L.-B. développe avec force dans la troisième