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Paul Carus. The Ethical Problem, etc. Chicago, The Open Court Publ. Co. 1890.

M. Paul Carus ne pouvait guère, dans les trois lectures qu’il publie aujourd’hui, considérer sous toutes ses faces le problème de la morale. Il a laissé de côté la question psychologique ; il ne recherche pas comment la moralité s’est faite, ni comment elle a varié. Il se borne à cette question cardinale, « quel est le principe du devoir ? » À son avis, nous n’avons pas tant besoin d’une nouvelle moralité que d’une nouvelle morale, c’est-à-dire d’un principe nouveau sur lequel, après la ruine de la théologie, de l’intuitionisme et de l’utilitarisme, on puisse enfin asseoir la moralité.

Or, la morale n’est pas tel ou tel fait, mais notre attitude devant les faits. Ce qui constitue l’originalité de l’homme, c’est la raison, et l’emploi pratique de sa raison est de donner forme d’idéal aux désirs qui naissent en lui de ses besoins. Avec la pensée et la prévision des conséquences de l’acte, commence réellement la morale.

Mais quelle sera la formule, en quelque sorte régulative, de cet idéal ? M. P. C. reprend hautement le précepte célèbre de Kant : « Agis de telle sorte que la maxime de ton acte puisse être érigée en maxime universelle. » Ce n’est là, il le sait d’ailleurs, qu’une formule ; le devoir ne peut jamais être défini et précisé que par des jugements particuliers dont l’expérience de la vie fournit les termes. Le problème serait donc d’assurer le principe de ces jugements, et, à ce qu’il nous semble, de donner à l’énoncé de Kant une valeur absolument positive.

La doctrine moniste qu’il défend fournit ici à M. P. C. son principe directeur. La raison humaine ne doit plus seulement se conformer au bien de l’individu, mais à celui de l’humanité, et plus généralement aux lois mêmes de l’existence cosmique. Or, l’idéal que l’homme conçoit est en chemin de se réaliser dans le monde ; le monisme implique donc une évolution régulière vers ce qui est meilleur, et, au point de vue de la morale, M. P. C. a pu nommer sa doctrine un « méliorisme ».

Une fois ce critérium cosmique accepté, ces données admises, une difficulté demeure encore, celle de formuler en toute occasion le devoir spécial que la conscience réclame ; elle demeure, disons-nous, quelle que soit la valeur du principe d’appréciation, et c’est là l’obstacle sérieux à une morale scientifique, à la confection d’un catéchisme pratique dont aucun article ne puisse être refusé.

N’insistons pas sur les objections de ce genre. Elles seront adressées à M. P. C. par des lecteurs moins sympathiques que nous ne sommes. Nous le savons homme d’initiative, de travail, de conviction, et ce n’est pas nous qui lui ferons un reproche de comprendre la philosophie comme une discipline de la vie entière.

L. A.