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même but, mais elle y arrive par un autre chemin ; elle ne garde pas de préjugés, et ne décide rien a priori ; elle permettra cependant une ; appréciation esthétique mieux fondée et plus complète, parce qu’elle aura aidé à reconnaître les vraies raisons qui font qu’une œuvre est belle.

Les rhétoriciens se sont complus à écrire des parallèles. Pour les analystes, la comparaison n’est qu’un moyen. Ils pourront avoir intérêt à comparer, selon le conseil de Carrière, les œuvres diverses composées par plusieurs poètes sur une même fable, mais ils se garderont d’étendre leur recherche spéciale jusqu’à la transformer en une histoire internationale des littératures. La pente est facile. Elle l’est aussi à montrer les rapports de la littérature avec les autres parties de la vie intellectuelle dans un milieu quelconque. Ici l’analyste ne suivra pas l’historien, toujours en quête d’assigner des facteurs nouveaux à l’évolution des littératures qu’il raconte ; il notera seulement les faits qui ont entre eux des rapports étroits, comme certaines ressemblances entre la psychologie d’un poète et celle d’un philosophe, qui sont réellement frappantes.

M. Wetz fait sagement, il nous semble, de circonscrire avec tant de soin le sujet de ses études. Il faut l’approuver encore de protester contre l’importance extraordinaire accordée en Allemagne à la philologie. La manie philologique a sévi outre Rhin, au point que l’histoire pragmatique, l’histoire des religions, l’histoire des beaux-arts, des langues et des littératures, finissaient par se trouver toutes réunies dans la main enchantée du philologue. Seules les langues et les littératures lui appartiennent ; encore la philologie est-elle une recherche particulière, qu’il serait imprudent de confondre avec l’histoire des langues ou avec celle des littératures, quelques relations intimes qui existent entre ces trois disciplines. Une histoire de la phonétique anglaise, par exemple, revient à l’histoire des langues, à la linguistique ; une histoire du drame anglais, à celle de la littérature ; et l’étude de la langue d’un ouvrage anglais, à la philologie.

A fortiori, l’histoire comparative ne ressort pas à la philologie, et M. Wetz a le courage de l’en affranchir. Il estime même que la tyrannie des philologues lui a été dommageable ; elle a valu à Bernay cent admirateurs pour son explication de la Katharsis, ou purgation d’Aristote, quand la belle histoire du drame de Klein n’en trouvait pas dix.

Les véritables précurseurs sont peu nombreux. Perrault et Lamotte, malgré leur infirmité critique, puis Diderot, pourraient être cités comme les premiers. Herder et Schiller, Goethe aussi, portent sur leurs épaules tout ce qui s’est fait depuis en Allemagne. Enfin est venu Tainc, dont la nouvelle méthode historique promet d’être féconde pour les études de littérature comparée. Certains critiques d’outre-Rhin n’ont voulu voir en lui qu’un « feuilletoniste ». M. Wetz lui rend, à leur encontre, pleine justice, et lui-même il entreprend la recherche des lois de la tragédie de Shakspeare, comparée à la tragédie d’autres poètes modernes, principalement Corneille.