La Cité de Dieu (Augustin)/Livre IX/Chapitre III

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La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 180).
CHAPITRE III.
DES ATTRIBUTIONS DES DÉMONS, SUIVANT APULÉE, QUI, SANS LEUR REFUSER LA RAISON, NE LEUR ACCORDE CEPENDANT AUCUNE VERTU.

Quelle est donc la différence des bons et des mauvais démons ? Le platonicien Apulée, dans un traité général sur la matière[1], où il s’étend longuement sur leurs corps aériens, ne dit pas un mot des vertus dont ils ne manqueraient pas d’être doués, s’ils étaient bons. Il a donc gardé le silence sur ce qui peut les rendre heureux, mais il n’a pu taire ce qui prouve qu’ils sont misérables ; car il avoue que leur esprit, qui en fait des êtres raisonnables, non-seulement n’est pas armé par la vertu contre les passions contraires à la raison, mais qu’il est agité en quelque façon par des émotions orageuses, comme il arrive aux âmes insensées. Voici à ce sujet ses propres paroles : « C’est cette espèce de démons dont parlent les poëtes, quand ils nous disent, sans trop s’éloigner de la vérité, que les dieux ont de l’amitié ou de la haine pour certains hommes, favorisant et élevant ceux-ci, abaissant et persécutant ceux-là. Aussi, compassion, colère, douleur, joie, toutes les passions de l’âme humaine, ces dieux les éprouvent, et leur cœur est agité comme celui des hommes par ces tempêtes et ces orages qui n’approchent jamais de la sérénité des dieux du ciel[2] ». N’est-il pas clair, par ce tableau de l’âme des démons, agitée comme une mer orageuse, qu’il ne s’agit point de quelque partie inférieure de leur nature, mais de leur esprit même, qui en fait des êtres raisonnables ? À ce compte ils ne souffrent pas la comparaison avec les hommes sages qui, sans rester étrangers à ces troubles de l’âme, partage inévitable de notre faible condition, savent du moins y résister avec une force inébranlable, et ne rien approuver, ne rien faire qui s’écarte des lois de la sagesse et des sentiers de la justice. Les démons ressemblent bien plutôt, sinon par le corps, au moins par les mœurs, aux hommes insensés et injustes, et ils sont même plus méprisables, parce que, ayant vieilli dans le mal et devenus incorrigibles par le châtiment, leur esprit est, suivant l’image d’Apulée, une mer battue par la tempête, incapables qu’ils sont de s’appuyer, par aucune partie de leur âme, sur la vérité et sur la vertu, qui donnent la force de résister aux passions turbulentes et déréglées.

  1. C’est toujours le petit ouvrage De deo Socratis.
  2. Apulée, De deo Socratis, page 18.