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La Cité de Dieu (Augustin)/Livre IX/Chapitre XXI

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La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 191-192).
CHAPITRE XXI.
JUSQU’À QUEL POINT LE SEIGNEUR A VOULU SE DÉCOUVRIR AUX DÉMONS.

Quant aux démons, ils le savent si bien, qu’ils disaient au Seigneur revêtu de l’infirmité de la chair : « Qu’y a-t-il entre toi et nous, Jésus de Nazareth ? es-tu venu pour nous perdre avant le temps[1] ? » Il est clair par ces paroles qu’ils avaient la connaissance de ce grand mystère, mais qu’ils n’avaient pas la charité. Assurément ils n’aimaient pas en Jésus la justice et ils craignaient de lui leur châtiment. Or, ils l’ont connu autant qu’il l’a voulu, et il l’a voulu autant qu’il le fallait ; mais il s’est fait connaître à eux, non pas tel qu’il est connu des anges qui jouissent de lui comme verbe de Dieu, et participent à son éternité, mais autant qu’il était nécessaire pour les frapper de terreur, c’est-à-dire à titre de libérateur des âmes prédestinées pour son royaume et pour cette gloire véritablement éternelle et éternellement véritable. Il s’est donc fait connaître, non en tant qu’il est la vie éternelle et la lumière immuable qui éclaire les pieux et purifie les croyants, mais par certains effets temporels de sa puissance et par certains signes de sa présence mystérieuse, plus clairs pour les sens des natures angéliques, même déchues, que pour l’humaine infirmité. Enfin, quand il jugea convenable de supprimer peu à peu ces signes de sa divinité et de se cacher plus profondément dans la nature humaine, le prince des démons conçut des doutes à son sujet et le tenta pour s’assurer s’il était le Christ ; il ne le tenta du reste qu’autant que le permit Notre-Seigneur, qui voulait par là laisser un modèle à notre imparfaite humanité dont il avait daigné prendre la condition. Mais après la tentation, comme les anges, ainsi qu’il est écrit[2], se mirent à le servir, je parle de ces bons et saints anges redoutables aux esprits immondes, les démons reconnurent de plus en plus sa grandeur en voyant que, tout revêtu qu’il était d’une chair infirme et méprisable, personne n’osait lui résister.

  1. Marc, i, 24 ; cf. Matt. viii, 29.
  2. Matt. iv, 3-11.