La Cité de Dieu (Augustin)/Livre IX/Chapitre XXII

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La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 192).
CHAPITRE XXII.
EN QUOI LA SCIENCE DES ANGES DIFFÈRE DE CELLE DES DÉMONS.

Les bons anges ne regardent d’ailleurs toute cette science des objets sensibles et temporels dont les démons sont si fiers, que comme une chose de peu de prix, non qu’ils soient ignorants de ce côté, mais parce que l’amour de Dieu qui les sanctifie leur est singulièrement aimable, et qu’en comparaison de cette beauté immuable et ineffable qui les enflamme d’une sainte ardeur, ils méprisent tout ce qui est au-dessous d’elle, tout ce qui n’est pas elle, sans en excepter eux-mêmes, afin de jouir, par tout ce qu’il y a de bon en eux, de ce bien qui est la source de leur bonté. Et c’est pour cela qu’ils connaissent même les choses temporelles et muables mieux que ne font les démons ; car ils en voient les causes dans le verbe de Dieu par qui a été fait le monde : causes premières, qui rejettent ceci, approuvent cela et finalement ordonnent tout. Les démons, au contraire, ne voient pas dans la sagesse de Dieu ces causes éternelles et en quelque sorte cardinales des êtres temporels ; ils ont seulement le privilége de voir plus loin que nous dans l’avenir à l’aide de certains signes mystérieux dont ils ont plus que nous l’expérience, et quelquefois aussi ils prédisent les choses qu’ils ont l’intention de faire ; voilà à quoi se réduit leur science. Ajoutez qu’ils se trompent souvent, au lieu que les anges ne se trompent jamais. Autre chose est, en effet, de tirer du spectacle des phénomènes temporels et changeants quelques conjectures sur des êtres sujets au temps et au changement, et d’y laisser quelques traces temporelles et changeantes de sa volonté et de sa puissance, ce qui est permis aux démons dans une certaine mesure, autre chose de lire les changements des temps dans les lois éternelles et immuables de Dieu, toujours vivantes au sein de sa sagesse, et de connaître la volonté infaillible et souveraine de Dieu par la participation de son esprit ; or, c’est là le privilége qui a été accordé aux saints anges par un juste discernement. Ainsi ne sont-ils pas seulement éternels, mais bienheureux ; et le bien qui les rend heureux, c’est Dieu même, leur Créateur, qui leur donne par la contemplation et la participation de son essence une félicité sans fin[1].

  1. Sur la science des anges, voyez le traité de saint Augustin : De Gen. ad litt., n. 49, 50.