Le Fils d’Ugolin/11

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Calmann-Lévy éditeurs (p. 115-124).
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XI

On aurait pu présager que les rapports changeraient dès lors entre le Donneur et le Récepteur qui avaient interverti leurs rôles naturels. Mais il arriva que le père, comblé par l’enfant généreux, connut à cette période une allégresse triomphante. Il venait de gagner une guerre. Sa victoire était merveilleuse. Au réveil, le matin, quand il prenait conscience de soi-même, son premier enregistrement de la réalité c’était : « Pierre ne se fera pas moine. » Et il devait demeurer tout le jour dans une sorte d’euphorie née de cette écharde arrachée à son cœur véhément. Le retour à Paris, dans le train, fut délicieux pour ce père prodigue. Son fils — au fond désemparé, obligé à se recréer un nouvel horizon qu’il n’aimait pas d’avance, travaillé de scrupules et comme honteux devant son Dieu de s’être repris à lui, bien que par force — ne pouvait se défendre de goûter à cette joie paternelle, si évidente, dont il était la source. Jamais, depuis la rupture d’Arbrissel et de la princesse volage, il n’avait vu son grand homme frémir ainsi à nouveau de la joie de vivre. Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/126 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/127 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/128 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/129 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/130 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/131 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/132 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/133 de vie décuplée connaît le Prêcheur qui vous sent frémir en lui, vous, Ô Christ, Verbe suprême, et, par la Parole, vous distribue à ses pauvres frères altérés de divinité ! Quelle réplique à l’Eucharistie que le ministère de la Parole qui est le sacrement de l’Esprit ! Mon Dieu ! mon Dieu ! pardonnez à cet homme trop chéri dont je fus le prisonnier. Je n’ai pu supporter sa douleur. Mais avec votre grâce, je supporterai la mienne… »

Là-dessus le soldat de première classe Arbrissel recevait d’Hyacinthe Arbrissel, de l’Institut, des lettres semblables toutes à celle-ci :

« Mon enfant bien-aimé, depuis cinq longues semaines lu n’as pas eu de permission et ion père n’est plus qu’un vieil arbre desséché dont les branches se tordent sous la tempête de la douleur. En vérité, je n’existe plus, toi disparu. Tu es ma vie. Tu es la lumière de mon œil. C’est par toi que j’existe. Ah ! dis-moi que ton service militaire accompli tu ne me quitteras plus. Le cauchemar de cette année d’absence n’aura que trop duré. Encore quelques semaines de cet arrachement et je l’aurai retrouvé, je le sais bien ; mais plus le terme de la séparation approche, plus je le vois moi, s’éloigner.

« Je me demande quel sera le poids de la dernière minute ! »