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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/25

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LA FEMME DU DOCTEUR

le propriétaire s’est refusé à rien faire réparer, aussi ils laissent tout dans l’état que tu vois. Sleaford parle de s’en aller en Australie un jour ou l’autre.

La porte du jardin s’ouvrit pendant que Smith parlait, et les deux jeunes gens entrèrent. Celui qui leur avait donné accès était un jeune garçon arrivé à cet âge où les enfants deviennent désagréables au possible. Il avait cessé d’être un enfant pur et simple, mais il n’osait pas encore s’intituler jeune homme. Repoussé par ses cadets qui le trouvaient trop arrogant et trop despote, qui le surprenaient émettant des théories étranges et hétérodoxes sur la question des billes, et manifestant un dédain suprême pour ceux d’entre eux à qui les dernières prophéties des oracles populaires du Bell’s Life et du Sunday Times n’étaient pas familières, et dédaigné d’autre part par ses aînés qui lui offraient un sou pour acheter un croquet ou qui donnaient à entendre des choses blessantes lorsqu’il était tenté de prendre l’air en fumant un cigare, — le malencontreux garçon cherchait vainement sa place sur l’échelle sociale, et n’en trouvant pas, il devint misanthrope et se drapa dans son mépris comme dans un manteau. Le hargneux adolescent nourrissait une rancune particulière contre Sigismund. Le jeune auteur possédait cette position enviable qui échappait aux désirs de l’ambitieux gamin. Il était homme ! Il pouvait fumer un cigare jusqu’au bout et cela sans devenir blême ou sans trébucher une ou deux fois pendant l’opération. Mais comme il savait peu profiter de ses avantages ! Il pouvait passer la nuit dehors sans que personne eût rien à lui dire. Il pouvait entrer dans une taverne à la mode et demander du bitter ou du gin, et avaler le breuvage sans faire la grimace ; il pouvait