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LA FEMME DU DOCTEUR.

jeter son argent sur le comptoir et appeler la fille de salle « Mary ! » et cela sans courir le danger que sa mère passât juste à ce moment et, apercevant une silhouette familière à travers la porte entrebâillée, entrât, rouge et furieuse, pour l’entraîner en le tenant par le collet, au milieu des éclats de rire des spectateurs impitoyables. Non ; Sigismund était un homme. Il aurait pu se griser s’il avait voulu et courir Londres une partie de la nuit, sonnant chez tous les médecins, faisant retentir tous les marteaux, et enfin se faisant conduire au poste au petit jour, pour être réclamé quelque temps après par un ami, et voir son nom cité dans les feuilles hebdomadaires sous cette rubrique : « Encore un dandy en goguette. »

Oui, Horace Sleaford haïssait le pensionnaire de sa mère ; mais sa haine était mitigée par le dédain. Quel usage Smith faisait-il de ses précieux privilèges ? Aucun absolument. La gloire de la virilité était départie à un esprit vulgaire qui, possédant la liberté d’aller où bon lui semblait, n’avait jamais vu un combat de boxeurs, ou la dernière grande course d’Epsom ; et qui, à l’âge de vingt-quatre ans, mangeait du pain et de la confiture à la barbe du monde entier. Le jeune Horace ferma bruyamment la porte et donna un tour de clef. La règle de négligence souffrait une exception chez Sleaford : les serrures étaient tenues en très-bon état. Le dédaigneux garçon retira la clef de la serrure et l’emporta en la tenant par son petit doigt. Il avait des poireaux aux mains, et les poireaux sont les stigmates de l’enfance. Les manches de sa jaquette étaient blanches et luisantes aux coudes et laissaient ses poignets exposés à toutes les intempéries. La conscience de sa jeunesse et le caractère étriqué du vête-