Page:Cloutier - Propos japonais.pdf/90

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le second, de cuisine sans doute, puisqu’il y avait un feu de fagots, le troisième, de logement. C’est dans ce dernier qu’on avait installé le cercueil et que les chrétiens faisaient la veillée funèbre.

C’est aussi dans cet appartement que j’allais célébrer les funérailles. Avec l’aide des chrétiens, je préparai l’autel et tout ce qu’il fallait pour le service. Quand je commençai le saint sacrifice, il était passé neuf heures. Pendant la messe, les chrétiens récitaient leurs prières à haute voix, comme c’est l’habitude dans nos chrétientés japonaises. Une quinzaine de païens étaient aussi venus prendre part aux funérailles ; mais trois ou quatre seulement ont entendu la sainte messe, les autres étaient restés à causer dans les pièces voisines ; et, au moment de l’élévation, j’avais peine au cœur d’entendre le bruit de leurs voix venir jusqu’à moi.

Après le service et l’action de grâces, on me donna de la nourriture japonaise, qui devait me tenir lieu de déjeuner et de dîner. Enfin, vers onze heures, on se prépara à partir pour le cimetière, qui se trouvait à deux heures de marche environ. Avant de retirer le cercueil de l’appartement, on l’ouvrit une dernière fois. Alors le fils du défunt, déjà marié et père de deux enfants, faisant approcher son aînée, une gentille petite fille de trois ans, lui fit répéter après lui ces paroles : « Noble vieillard, adieu ; au ciel où vous êtes sans doute, priez, s’il vous plaît, pour que nous soyons tous de bons chrétiens ! » La chère petite dit ceci d’une voix ferme, claire et pénétrante comme un son d’orgue ; c’était touchant à remuer l’âme jusqu’en ses dernières fibres ; les femmes éclatèrent en sanglots et moi-même, je l’avoue, j’ai failli pleurer.