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ARRIEN : L’HISTORIEN ET L’ÉCRIVAIN

raît un souci d’exactitude et un air de vérité qui fait bonne impression. Du reste, Arrien, comme ses auteurs, est manifestement favorable à Alexandre, bien que son esprit de justice l’oblige à le blâmer quelquefois. Ce qu’il ne sait pas faire, c’est de réagir contre le préjugé hellénique, de façon à juger une telle entreprise d’un point de vue plus largement humain ; et il n’a pas non plus toute la souplesse qui eût été nécessaire pour bien comprendre, dans ses inégalités et dans ses écarts, une nature aussi exceptionnelle que celle de son héros. Enfin toute la partie politique de l’entreprise n’est réellement qu’entrevue.

De même que la critique, l’art littéraire est chez lui de qualité moyenne. Un exposé clair et intéressant, rapide sans l’être trop, bien ordonné, suffisamment animé. Les récits de batailles sont d’un homme du métier, qui sait d’ailleurs se mettre à la portée de tous ; les descriptions de pays et d’itinéraires ont quelque chose de dégagé, les personnages sont caractérisés surtout par leurs actions ; s’ils ont peu de relief, la physionomie qui leur est prêtée semble en définitive assez juste. Ce sont là des mérites très estimables, qui rendront toujours le livre d’Arrien agréable et utile. Mais la grande originalité lui fait défaut. Ni éclat de style, ni vivacité d’imagination, ni couleurs brillantes, ni mouvement entraînant, ni force de pensée ou de sentiment, rien en un mot de ce qui crée une supériorité dans l’art d’exprimer la vie par le langage. Et cette médiocrité est d’autant plus sensible qu’il s’agit d’une aventure héroïque, d’une sorte d’épopée rapide et brillante, qui, par sa nature même, semblait exiger plus impérieusement du narrateur des qualités dramatiques. Arrien n’avait aucun de ces dons exceptionnels, et l’apprentissage laborieux qu’il avait fait du métier d’écrivain n’avait pu lui donner qu’une remarquable habileté d’imitation.