Aller au contenu

Page:Duval-Thibault - Les deux testaments, 1888.djvu/11

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
10
LES DEUX TESTAMENTS

Le dimanche suivant, il s’était cependant rendu, comme à l’ordinaire, chez sa bien aimée, qu’il avait eu le bonheur de trouver seule à la maison et avec laquelle il avait eu la conversation que nous avons rapportée plus haut.

Ayant quitté la maison, il marcha d’un pas rapide dans la direction de sa demeure.

Il était si absorbé dans ses pensées qu’il ne remarqua point un homme qui venait du côté opposé. Mais cet homme qui n’était autre que le veuf Bernier, lui-même, ne manqua pas de le remarquer, et son visage prit une expression de haine qui aurait bien étonné ceux de ses amis qui le considéraient presque comme un saint.

Il passa près de Xavier comme s’il ne l’avait pas vu, lui non plus, et poursuivit son chemin vers la demeure de M. Renaud, où il arriva bientôt et où le père et la mère lui firent un accueil des plus sympathiques. Mais la jeune fille ne lui porta pas beaucoup d’attention.

Cependant le soir arriva et le veuf n’étant pas parti on l’invita cordialement à souper. Il accepta sans se faire prier.

De temps en temps, pendant le repas, ses yeux gris pierre se fixaient sur le visage de Maria avec une intensité qui aurait effrayé celle-ci si elle s’en était aperçue. Mais elle était rêveuse, car elle ne songeait qu’à Xavier.

Le veuf aimait cette belle jeune fille avec toute la fougue d’une première passion, car il n’avait jamais aimé sa défunte femme qu’il n’avait épousée que par intérêt.

Il se disait en regardant Maria :

— Décidément, elle n’éprouve aucune amitié pour moi.

Elle n’aime que ce jeune fou que j’ai rencontré cette après-midi et elle ne songe qu’à lui.

Mais, je l’aurai, oui, je l’aurai !

Qu’elle m’aime ou qu’elle ne m’aime pas, elle sera ma femme !

Tout en ruminant ces pensées, il causait avec M. et Mde Renaud ; il parlait de la procession du Saint Sacrement qui devait avoir lieu le dimanche suivant, de la maladie d’un curé en renom — il était lié d’amitié avec plusieurs prêtres — du pèlerinage de Ste Anne que devait organiser une certaine congrégation ; enfin sa conversation roulait sur toutes sortes de sujets de ce genre.

Le père Renaud contrastait en lui même ces graves discours avec le langage léger et irréfléchi des jeunes gens ordinaires.

Il disait souvent à sa femme en parlant du veuf.

— Vois tu, vieille, cet homme là est religieux et bon ; il n’a pas les défauts de tant d’autres hommes et